<figure class="wp-block-image size-full"><img data-recalc-dims="1" loading="lazy" decoding="async" width="1024" height="768" data-attachment-id="2594" data-permalink="https://changement-de-cap.fr/2024/11/07/refonder-nos-modeles-de-production-pour-reussir-notre-renaissance-industrielle/bioeconomie-industrie/" data-orig-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?fit=1024%2C768&amp;ssl=1" data-orig-size="1024,768" data-comments-opened="1" data-image-meta="{&quot;aperture&quot;:&quot;0&quot;,&quot;credit&quot;:&quot;&quot;,&quot;camera&quot;:&quot;&quot;,&quot;caption&quot;:&quot;&quot;,&quot;created_timestamp&quot;:&quot;0&quot;,&quot;copyright&quot;:&quot;&quot;,&quot;focal_length&quot;:&quot;0&quot;,&quot;iso&quot;:&quot;0&quot;,&quot;shutter_speed&quot;:&quot;0&quot;,&quot;title&quot;:&quot;&quot;,&quot;orientation&quot;:&quot;0&quot;}" data-image-title="bioeconomie-industrie" data-image-description="" data-image-caption="" data-medium-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?fit=300%2C225&amp;ssl=1" data-large-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?fit=1024%2C768&amp;ssl=1" src="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?resize=1024%2C768&#038;ssl=1" alt="" class="wp-image-2594" srcset="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?w=1024&amp;ssl=1 1024w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?resize=300%2C225&amp;ssl=1 300w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?resize=768%2C576&amp;ssl=1 768w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?resize=800%2C600&amp;ssl=1 800w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?resize=600%2C450&amp;ssl=1 600w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?resize=400%2C300&amp;ssl=1 400w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2024/11/bioeconomie-industrie.png?resize=200%2C150&amp;ssl=1 200w" sizes="auto, (max-width: 1000px) 100vw, 1000px" /></figure>



Les défis de souveraineté économique, de survie de notre modèle social ou encore de gestion des conséquences du dérèglement climatique sont vertigineux. Notre conviction est que sans réindustrialisation nous ne pourrons les dépasser. Si réindustrialiser est indispensable, cela impose d’inventer un modèle productif.



<h2 class="wp-block-heading">La France sans usine</h2>



En 40 ans, la désindustrialisation française a transformé notre identité économique nous faisant passer d’un pays de producteurs et d’entrepreneurs à un pays de consommateurs et de financiers. Les transferts d’un très grand nombre de travailleurs de l’industrie vers des activités de services moins bien payées, souvent précaires et ouvrant peu de perspectives d’évolutions ont participé fortement à l’émergence de l’Homme inutile<a href="#sdfootnote1sym" id="sdfootnote1anc">1</a>,&nbsp; c’est-à-dire des personnes qui ne valent plus assez pour vivre décemment de leur travail. Au prisme territorial, la désindustrialisation a induit l’installation dans la durée de situations de précarité sociale et économique<a href="#sdfootnote2sym" id="sdfootnote2anc">2</a>. Nos élites ont d’abord cru que des politiques de redistribution de plus en plus massives seraient un remède suffisant. Ensuite, et à court de solution, elles ont décidé de rejeter «&nbsp;les inutiles&nbsp;» aux confins de la République comme on l’a vu lors des dernières élections<a href="#sdfootnote3sym" id="sdfootnote3anc">3</a>. En attendant, le problème subsiste, cette désindustrialisation a généré un déclassement social massif et politiquement explosif.



Le choc fut tout aussi sévère pour l’environnement. Aujourd’hui, nous consommons des produits fabriqués dans des conditions environnementales désastreuses, qui parcourent des milliers de kilomètres avant d’atterrir dans nos hypermarchés. Avec cette économie «&nbsp;du jetable&nbsp;», basée sur un processus d’accélération de la consommation, plus de la moitié de notre empreinte carbone (56%) est dorénavant importée. C’est précisément ce modèle de surconsommation qui est confrontée de manière brutale aux limites environnementales et le technosolutionnisme qui se veut un remède à ces maux, apparaît être une réponse toujours plus illusoire à l’exemple de la grande promesse du moment qu’est l’IA dont les avantages en la matière restent hypothétiques alors que ses coûts énergétiques eux, sont d’ores et déjà colossaux<a href="#sdfootnote4sym" id="sdfootnote4anc">4</a>.



Réindustrialiser est indispensable, la vraie question qui mérite d’être posée est celle d’un modèle productif propre à relever ces immenses défis économiques, sociaux et écologiques qui nous font face.



<h2 class="wp-block-heading">Une nouvelle représentation des processus productifs</h2>



Le point d’appui théorique de cette représentation est à rechercher dans la révolution épistémologique et méthodologique proposée par Nicholas Georgescu-Roegen<a href="#sdfootnote5sym" id="sdfootnote5anc">5</a>. Dans celle-ci, les systèmes économiques et sociaux sont encastrés dans leur socle écologique. En conséquence, si ce socle s’affaiblit alors tout se fragilise. Cette vision introduit une relation systémique entre les activités économiques et la biosphère et place au cœur de la rationalité économique la contrainte de la dégradation quantitative et qualitative des ressources naturelles (et donc des déchets). Par ailleurs, cette révolution bioéconomique recommande de considérer les enseignements de la biologie qui montre que l’émergence de «&nbsp;compétences adaptatives&nbsp;» doit beaucoup aux coopérations, au moins autant qu’à la compétition. Se dégagent alors quatre grands principes opérationnels qui pourraient former le cœur d’une politique industrielle novatrice.



Dans une perspective bioéconomique, l’entrepreneur va rechercher la combinaison productive lui permettant d’optimiser un «&nbsp;bénéfice global » liant performance&nbsp;environnementale, économique et sociale. Loin d’être opposées, ces performances sont complémentaires et se cumulent pour doter l’entreprise d’un avantage compétitif. Augmenter sa performance environnementale devient la condition de l’amélioration des performances sociales et économiques. C’est ce comportement d’optimisation qui fonde la bioéconomie industrielle.



Pour limiter le processus de dégradation, le producteur va chercher à ajouter de l’information dans son produit tout au long de son processus productif afin de favoriser l’allongement des durées d’usage et, en fin de vie, de recyclage. Écoconception et bouclage des flux sont les bases de ce qui est aujourd’hui connu sous l’appellation d’économie circulaire.



La mise en perspective du concept de «&nbsp;compétences adaptatives&nbsp;» pose comme base que c’est au niveau méso-économique que la dynamique industrielle prend forme et se développe<a href="#sdfootnote6sym" id="sdfootnote6anc">6</a>. À l’inverse du concept de chaines de valeurs dans lesquelles les acteurs sont considérés comme de simples centres de coûts, dans un écosystème coopératif, c’est de manière collective que se met en place les nouveaux référentiels d’innovation garant de la performance collective.



Enfin, la sobriété doit être un levier important comme facteur d’optimisation et comme moyen d’entamer l’indispensable «&nbsp;définanciarisation&nbsp;» de l’économie. Prendre en compte cet objectif de sobriété imposera de considérer comme une piste très prometteuse le développement et la mise à l’échelle des principes low techappliqués en particulier aux moyens de production<a href="#sdfootnote7sym" id="sdfootnote7anc">7</a>.



<h2 class="wp-block-heading">Un exemple d’application&nbsp;: l’économie du réutilisable</h2>



La croissance moderne s’est appuyée sur un modèle économique radical, celui de l’économie du jetable. En conséquence, la production de déchets n’a fait que croitre et pourrait atteindre au niveau mondial 5 milliards de tonnes d’ici 2050. Beaucoup comptent sur la circularisation de l’économie pour limiter ces volumes. Sans limitation de la croissance de la part du jetable dans la production, elle ne sera pas suffisante pour réduire les impacts environnementaux. Et sans une forme de « localisme industriel », elle ne peut être le support à une stratégie de renaissance industrielle capable d’augmenter significativement notre base productive et par là, créer des emplois de qualité et de nouvelles sources de richesses pour financer notre modèle social.



Au travers de la volumétrie des déchets, nous avons progressivement pris conscience de l’impasse systémique dans laquelle ce modèle nous a entrainé. Jusqu’à présent, les solutions de substitution manquaient. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des entrepreneurs se sont emparés du sujet et ont décidé, non plus de corriger le problème (retraiter les déchets), mais de s’attaquer à sa source même pour bifurquer (les diminuer massivement). Conscients que ces pollutions (déchets et autres) peuvent devenir une richesse, des projets émergent et sont la démonstration qu’une politique de réindustrialisation d’ampleur est possible en s’appuyant sur la faiblesse de l’économie du jetable. S’adressant à des secteurs très différents, ces initiatives présentent des caractéristiques communes qui sont autant de démonstration de potentiel du modèle bioéconomique appliqué à l’industrie.



Dans le secteur du textile utilisé en bloc opératoire, jusqu’à aujourd’hui ce sont les solutions jetables qui étaient utilisées faute d’alternatives. C’était plus de 6 000 tonnes de déchets qui étaient générées chaque année. Fabriquées dans des pays low-cost nous en subissons les déchets sans profiter de la valeur ajoutée industrielle ni des emplois. Consciente de cette problématique, la société Protectus<a href="#sdfootnote8sym" id="sdfootnote8anc">8</a> a su créer un écosystème coopératif pour développer des solutions lavables, réutilisables et recyclables et remplacer ainsi les solutions jetables. À terme, cet écosystème englobera toutes les étapes du cycle de vie des textiles réutilisables : la R&amp;D, la production (filature, tissage, ennoblissement, confection), les services de blanchisserie et de stérilisation et, en fin de vie des produits le recyclage industriel intégré pour fabriquer de nouveaux articles. Ce modèle réduit non seulement les déchets, mais favorisera aussi une réindustrialisation durable car elle sera #MadeinFrance. D’après les sources internes à l’entreprise, et uniquement dans les blocs opératoires, le remplacement des textiles jetables par des solutions réutilisables éviterait plus de 6 000 tonnes de déchets, créerait plus de 5 000 emplois et injecterait 300 M€ de valeur ajoutée dans notre économie.



Dans le même esprit, le projet Nouvelles Fibres Textiles<a href="#sdfootnote9sym" id="sdfootnote9anc">9</a> porte l’ambition de faire de l’économie circulaire une réalité industrielle et intégrée. La première usine combine une technologie de tri automatisé avec des technologies de délissage et d’effilochage et peut transformer des volumes de textiles en fin de vie en fibres de qualité. Avec ce process, chaque tonne de textile recyclé #MadeinFrance et réutilisée par l’industrie française c’est 1 emploi créé et 50 tonnes de CO2 économisées. Chaque année nous consommons 800 000 tonnes de textile qui sont à 96% importées&nbsp;!



36 millions de bouteilles plastiques sont achetées chaque jour en France. Derrière le côté pratique c’est 279 000 tonnes de déchets plastiques ! Là encore, des entrepreneurs se sont lancés dans le développement de solutions alternatives, c’est ainsi que ce marché de la gourde s’est envolé. L’adoption de ces solutions nouvelles fut remarquable à la fois par sa rapidité et par la diversité des utilisateurs. Selon une étude Fact Market Research, le marché mondial des gourdes devrait peser 11 milliards de dollars en 2030. Certains entrepreneurs ont décidé de faire le pari du #MadeinFrance à l’image des entreprises Gobi, Zeste, Neolid et d’autres. Chacune d’entre-elles place au cœur de ses revendications stratégiques la réconciliation des enjeux économiques, sociaux et environnementaux (À titre d’exemple, une gourde Gobi indoor<a href="#sdfootnote10sym" id="sdfootnote10anc">10</a> évite 1,59 kg de déchets et 5,29 kg de CO2).



Dans ce dernier exemple les entrepreneurs devront surmonter leur dernier handicap&nbsp;: un rapport qualité/prix insuffisant par rapport à la concurrence des pays low-cost. Là encore les enseignements permaindustriels<a href="#sdfootnote11sym" id="sdfootnote11anc">11</a> apportent une solution. Pour augmenter la qualité, la clé se trouve dans la circulation des idées et pour baisser les prix dans les volumes. Dans les deux cas, s’est en se regroupant dans un écosystème coopératif que ces secteurs deviendront de véritables moteurs de la renaissance industrielle.



Les principes permaindustriels ont le potentiel pour former le socle d’une politique de réindustrialisation novatrice et territorialisée. Des dizaines (voire des centaines) de milliers d’emplois sont concernés, ainsi qu’un accroissement majeur de la valeur ajoutée qui serait injectée dans notre économie, ce qui participerait fortement au financement de notre modèle social.



<a href="#sdfootnote1anc" id="sdfootnote1sym">1</a> P-N. Giraud, L’Homme inutile (2015), Une économie politique du populisme, O. Jacob



<a href="#sdfootnote2anc" id="sdfootnote2sym">2</a> A. Arquié, T. Grjebine, Vingt ans de plans sociaux dans l’industrie&nbsp;: quels enseignements pour la transition écologique&nbsp;? La lettre du CEPII. Mars 2023



<a href="#sdfootnote3anc" id="sdfootnote3sym">3</a> «&nbsp;Après avoir grossi les rangs de l’abstention, les classes populaires des deux côtés de l’Atlantique ont décidé de «&nbsp;voter mal&nbsp;» (Trumpisme aux États-Unis, Brexit aux RU, dégagisme un peu partout)&nbsp;», dans R. Vignes, L’impasse, 2020, Citizenlab.



<a href="#sdfootnote4anc" id="sdfootnote4sym">4</a> <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/07/02/apres-microsoft-google-voit-ses-emissions-de-co2-bondir-a-cause-de-l-ia_6246155_3234.html">https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/07/02/apres-microsoft-google-voit-ses-emissions-de-co2-bondir-a-cause-de-l-ia_6246155_3234.html</a>



<a href="#sdfootnote5anc" id="sdfootnote5sym">5</a> A. Missemer (2013), Nicolas Georgescu-Roegen, pour une révolution bioéconomique, ENS Éditions



<a href="#sdfootnote6anc" id="sdfootnote6sym">6</a> La méso-économie peut être définie comme une approche qui privilégie l’étude des interrelations des réseaux d’acteurs



<a href="#sdfootnote7anc" id="sdfootnote7sym">7</a> ADEME (2023), Étude sur l’opportunité du déploiement d’un écosystème industriel low-tech en PACA



<a href="#sdfootnote8anc" id="sdfootnote8sym">8</a> <a href="https://protectus.eco/" rel="nofollow">https://protectus.eco/</a>



<a href="#sdfootnote9anc" id="sdfootnote9sym">9</a> <a href="https://www.nouvellesfibrestextiles.com/fr/home-francais/" rel="nofollow">https://www.nouvellesfibrestextiles.com/fr/home-francais/</a>



<a href="#sdfootnote10anc" id="sdfootnote10sym">10</a> <a href="https://www.gobilab.com/" rel="nofollow">https://www.gobilab.com/</a>



<a href="#sdfootnote11anc" id="sdfootnote11sym">11</a> Pour un monde réciproquement bénéfique à l&rsquo;humain et à la nature, voir le site <a href="https://permaindustrie.org/">https://permaindustrie.org/</a>

Refonder nos modèles de production pour réussir notre renaissance industrielle

<figure class="wp-block-image size-large"><img data-recalc-dims="1" decoding="async" src="https://i0.wp.com/www.ordinal.fr/images/2-services/Sujets_de_reflexion/intelligence-artificielle.jpg?ssl=1" alt=""/></figure>



L’objectif de cet article est de rendre compte des réflexions de Bernard Stiegler<a href="#sdfootnote1sym" id="sdfootnote1anc">1</a> et du collectif Internation sur la nécessité de repenser l’éthique au XXIè siècle. Ce thème a fait l’objet d’un chapitre de leur livre collectif « Bifurquer »<a href="#sdfootnote2sym" id="sdfootnote2anc">2</a> dans lequel les auteurs, pour sortir des différents désordres et menaces de l’Anthropocène<a href="#sdfootnote3sym" id="sdfootnote3anc">3</a>, « redessinent le monde tel qu’il devrait être pour répondre aux grandes crises sanitaires, climatiques, sociales, économiques ou psychiques ».



Les auteurs de Bifurquer nous alertent que dans le contexte actuel des sociétés industrielles hyper-informatisées du XXIè siècle « nos comportements humains, nos devoirs et nos caractères sont désormais façonnés par des systèmes artificiels automatisés et organisés souvent à l’échelle planétaire »<a href="#sdfootnote4sym" id="sdfootnote4anc">4</a>. Et de préciser : « ces systèmes n’influencent pas seulement les choix personnels, mais aussi les précèdent et les prennent de vitesse par le biais des infrastructures algorithmiques<a href="#sdfootnote5sym" id="sdfootnote5anc">5</a> de la « nouvelle économie des données » ». Ils attirent ainsi notre attention sur le fait que cette nouvelle économie échappe au contrôle social et politique.



<h2 class="wp-block-heading">Distinguer éthique et morale</h2>



Pour les auteurs de Bifurquer, la vie éthique, signifie « bien agir ». Ils nous avertissent que la difficulté pour parler de l’éthique est sa proximité ou sa confusion avec la morale, ces deux termes paraissant souvent équivalents. En effet, le mot éthique vient du grec ethos qui fut traduit en latin par mores, ou morale. Ces deux termes renvoient tous deux de manière générale « aux mœurs, aux coutumes et plus généralement aux règles qui norment les conduites humaines ». Ces deux termes sont distingués par le collectif Bifurquer, mais pour mieux comprendre leur propos il est utile de bien préciser leur différence. C’est ce que fait Paul Ricœur<a href="#sdfootnote6sym" id="sdfootnote6anc">6</a>, en constatant qu’ils recouvrent des réalités nettement distinctes selon que l&rsquo;on met l&rsquo;accent sur ce qui est estimé bon ou sur ce qui s&rsquo;impose comme obligatoire. C&rsquo;est par convention qu’il réserve le terme « éthique » pour la visée d&rsquo;une vie accomplie sous le signe des actions estimées bonnes, et celui de « morale » pour le côté obligatoire, marqué par des normes, des obligations, des interdictions caractérisées à la fois par une exigence d&rsquo;universalité et par un effet de contrainte. « On reconnaitra aisément dans la distinction entre visée de la vie bonne et obéissance aux normes l&rsquo;opposition entre deux héritages : l&rsquo;héritage aristotélicien, où l&rsquo;éthique est caractérisée par sa perspective téléologique (de telos, signifiant « fin ») ; et un héritage kantien, où la morale est définie par le caractère d&rsquo;obligation de la norme ».



Comme le dit Ricœur, l’éthique vient comme encadrer la morale en la questionnant sur ses fondements et ses fins. Si la morale est le «&nbsp;royaume des normes, l’éthique est celui de la réflexion philosophique sur les principes et les fins qui les justifient&nbsp;»<a href="#sdfootnote7sym" id="sdfootnote7anc">7</a>. Les auteurs de Bifurquer se situent dans la même approche, mais en mettant en avant la dimension de l’éthique comme lieu de conflits. « En un mot, la vie éthique, tant qu’elle signifie bien agir, est toujours conflictuelle. Bien agir revient pas nécessairement à suivre ce qui est défini comme acceptable, bien ou juste par la philosophie morale&nbsp;».



<h2 class="wp-block-heading">Ethique et algorithmes, deux conceptions différentes des comportements humains</h2>



Jusqu’ à récemment on a pu dire que l’éthique est un caractère particulier, qui appartient à la fois à la communauté en tant que coutumes et à l’individu en tant que caractère moral. « En tant que caractère particulier d’une communauté, l’éthos se manifeste dans ses coutumes, ses habitudes et ses traditions : c’est une articulation inconsciente et non rationnelle dont les choses devraient être au motif qu’elles ont toujours été. Dans la vie ordinaire, le caractère éthique des individus reflète l’éthos de leur communauté : les gens suivent les coutumes et croyances qui les rassemblent ». La force de l’éthique ne signifie pas que tout éthique serait juste mais est qu’elle s’impose, au nom de la coutume, au nom de la justice divine. « Mais le devoir éthique appelle parfois à contester les habitudes bornées, les traditions répressives et les lois injustes ».



Dans le monde contemporain, dans nos sociétés industrielles hyper-informatisées, le comportement des individus est déterminé d’une manière radicalement différente. « Bien sûr, la coutume et l’habitude jouent toujours un rôle. Mais l’éthique du monde contemporain est de plus en plus marquée par la vie algorithmique et la gouvernementalité algorithmique qui conditionnent la vie éthique elle-même ». Il nous faut savoir que des domaines de la gouvernance algorithmique sont de plus en plus créés, ainsi que leur architecture technologique par de grandes entreprises mondiales qui ne répondent qu’au besoin du capitalisme. « Cela ne signifie pas que les algorithmes dicteraient des règles éthiques, mais que l’espace social dans lequel l’action éthique peut avoir lieu est d’avance aménagé par des algorithmes », ils structurent ce qui apparait comme possible et tendent en même temps à supprimer des virtualités alternatives.



<h2 class="wp-block-heading">La gouvernance algorithmique remplace l’éthique</h2>



Les auteurs de Bifurquer, nous rappelle qu’une des fonctions de l’éthique traditionnelle était d’attribuer différentes tâches à différents types de personne, par exemple on s’attendait que les hommes fassent la guerre, que les femmes restent à la maison. Il précisent que les algorithmes sociaux informatiques peuvent être utilisés aussi pour sélectionner les personnes (pour obtenir un prêt bancaire, un emploi, une place dans un établissement d’enseignement supérieur, &#8230;). « Il a été démontré que, au lieu de diminuer les discriminations, ils peuvent l’augmenter, en enfermant les gens dans leurs positions sociales antérieures ».



L’éthique traditionnelle était rarement questionnée parce que « l’ethos était ordonné par les dieux ». Un algorithme social n’est pas dicté par les dieux, « il est programmé par des ingénieurs, appelés data scientists, suivant les commandes de leurs clients. Les personnes qui y sont soumises ne peuvent ni le savoir, ni le remettre en cause ».



Les auteurs de Bifurquer font le constat que « les algorithmes sociaux ne sont pas du même ordre que l’éthique : ils ont des temporalités différentes » L’éthique traditionnelle n’a pas d’origine définie, « elle est une habitude qui a toujours été là et qui est valable parce que les gens la répètent ». Ce n’est pas le cas d’un algorithme social « qui peut être mis à jour par ses programmeurs, mais ne peut pas être modifié par les personnes qu’il gouverne : on ne peut pas dire non à un algorithme ». En outre, l’éthique et les algorithmes sociaux constituent une relation tout à fait différente à l’avenir : « un algorithme social n’admet pas de critique, et il n’est pas ouvert à un véritable hasard. En ce sens il ne laisse pas de place aux choix existentiels »



<h2 class="wp-block-heading">Repenser l’éthique depuis la société industrielle hyper-informatisée</h2>



Une action peut être jugée éthique tant que celui qui agit est responsable de ce qu’il fait, et capable d’anticiper les conséquences de ses actes. C’est pour cette raison qu’un acte éthique ne peut jamais être automatique. D’où la question posée par le collectif Internation auteur de Bifurquer : « Comment réinventer la vie éthique au moment où un grand nombre de nos actions sont devenues automatisées ? ». Plusieurs éléments de réponse ont été apportées par cet ouvrage :



<ul class="wp-block-list">
<li>« Ouvrir l’époque de l’éthique dans une société hyper-informatisée, consiste d’abord à reprendre le contrôle sur nos données, en redéfinissant les structures mêmes, et à en faire la question d’une nouvelle économie politique afin de les mettre au service de nouveaux modes d’organisation sociale permettant d’agir éthiquement ».</li>
</ul>



<ul class="wp-block-list">
<li>« Parce que le système technique dans lequel nous vivons est global, nous avons besoin de règlementations éthiques globales pour la conception, la production et la commercialisation des éléments de système technique &#8211; notamment par rapport aux applications de l’IA ».</li>
</ul>



<ul class="wp-block-list">
<li>« Un éthos est local par le fait que c’est un caractère qui est localisé dans un milieu habituel. L’éthique que nous essayons de penser est située, et pour cette raison elle est responsable. Elle porte moins sur les valeurs que sur les principes et sur l’organisation qui permet de maintenir ces principes afin de rendre les citoyens capables de former et transformer leurs valeurs à eux. De fait, un éthos universel ou global n’existe pas, ce qui veut dire que n’existent pas non plus des valeurs dites universelles ».</li>
</ul>



<ul class="wp-block-list">
<li>« Redéfinir l’éthique, consiste à observer comment nous tous pouvons et devons parler de l’éthique à travers la multiplicité des philosophies et des langues comme leurs supports matériels ». En réduisant la technologie en simples fonctionnalités, le langage technologique a conduit à l’avènement d’une culture mono-linguistique qui affecte les éthiques locaux. « Donner un nouveau souffle à l’éthique implique de reconnaître que la diversité linguistique est bien plus qu’une chose à préserver dans la logique culturelle : elle devrait plutôt être considérée comme la condition matérielle de ce que Adam Smith a décrit comme la richesse des nations ».</li>
</ul>



<ul class="wp-block-list">
<li>« La vie éthique est insoutenable indépendamment de la techno-diversité. L’enjeu est de repenser la technique à partir de la catégorie de la diversité C’est précisément pour cela que cette techno-diversité doit être protégée, afin de sauver les localités et de rendre leurs habitants capables de les transformer technologiquement et, par conséquent de conserver leur éthos ».</li>
</ul>



<h2 class="wp-block-heading">Conclusion</h2>



Pour les auteurs de Bifurquer, à l’ère de l’anthropocène, il nous faut d’une manière radicale changer notre manière de penser l’éthique, «&nbsp;il est urgent de déplacer la question de l’éthique de la sphère des choix personnels vers la sphère de l’organisation des systèmes industriels&nbsp;». Il s’agit de contribuer à l’émergence de nouvelles économies politiques et de nouvelles organisations qui permettent de rendre les citoyens capables de former et de transformer leurs valeurs à eux. En ce sens on peut dire «&nbsp;la question éthique doit être posée comme celle de l’organisation de la vie dans des sociétés hyper-industrielles, plutôt que comme celle des valeurs&nbsp;».



Bifurquer constitue une contribution importante au débat sur l’éthique à l’ère de l’anthropocène, qui devra être complétée par d’autres travaux. Son apport spécifique est de repenser l’éthique &#8211; non en se centrant sur les changements climatiques, la perte de biodiversité, l’accélération de l’érosion, .. -, mais en partant des transformations des comportements des humains provoqués par les sociétés industrielles automatisées.



<a href="#sdfootnote1anc" id="sdfootnote1sym">1</a> Bernard Stiegler (1952-2020) philosophe, il est auteur de nombreux ouvrages. Le cœur de sa recherche portait sur les enjeux des mutations actuelles, liées au développement technologique et aux évolutions de la société.



<a href="#sdfootnote2anc" id="sdfootnote2sym">2</a> Bernard Stiegler, Bifurquer, Il n’y a pas d’alternative, Les Liens Qui Libèrent, 2021.



<a href="#sdfootnote3anc" id="sdfootnote3sym">3</a> Le terme Anthropocène – théorisé par le prix Nobel de chimie néerlandais Paul Crutzen &#8211; a été proposé pour désigner l&rsquo;époque dans laquelle l&rsquo;action des hommes a commencé à provoquer des changements bio-géophysiques à l&rsquo;échelle planétaire. <a href="https://www.eccap.fr/article/lanthropo-technocene">Voir aussi cet article</a>.



<a href="#sdfootnote4anc" id="sdfootnote4sym">4</a> Pour plus de détail voir <a href="https://www.eccap.fr/article/economie-numerique-de-lattention-et-manipulation">cet article</a>.



<a href="#sdfootnote5anc" id="sdfootnote5sym">5</a> Dans le domaine de l’informatique, les algorithmes sont des programmes qui fournissent aux ordinateurs un guide d’instructions pour effectuer des actions ou manipuler des données



<a href="#sdfootnote6anc" id="sdfootnote6sym">6</a> <a href="ttps://entrorger-anndefrenne.com/wp-content/uploads/2021/06/RICOEUR-P._Ethique-et-morale_Extrait-de-Lectures-1_1990_.pdf">Texte accessible en ligne ici.</a>



<a href="#sdfootnote7anc" id="sdfootnote7sym">7</a> <a href="https://shs.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2016-1-page-19?lang=fr">Extrait de ce texte </a>

Repenser l’éthique à l’ère de l’anthropocène

Plaidoyer pour une IA humaniste

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<figure class="wp-block-image size-large"><img data-recalc-dims="1" loading="lazy" decoding="async" width="269" height="296" data-attachment-id="2162" data-permalink="https://changement-de-cap.fr/2023/12/01/quel-avenir-avec-lintelligence-artificielle/superman-2/" data-orig-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/12/Superman-2.jpg?fit=269%2C296&amp;ssl=1" data-orig-size="269,296" data-comments-opened="1" data-image-meta="{&quot;aperture&quot;:&quot;0&quot;,&quot;credit&quot;:&quot;&quot;,&quot;camera&quot;:&quot;&quot;,&quot;caption&quot;:&quot;&quot;,&quot;created_timestamp&quot;:&quot;0&quot;,&quot;copyright&quot;:&quot;&quot;,&quot;focal_length&quot;:&quot;0&quot;,&quot;iso&quot;:&quot;0&quot;,&quot;shutter_speed&quot;:&quot;0&quot;,&quot;title&quot;:&quot;&quot;,&quot;orientation&quot;:&quot;0&quot;}" data-image-title="Superman-2" data-image-description="" data-image-caption="" data-medium-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/12/Superman-2.jpg?fit=269%2C296&amp;ssl=1" data-large-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/12/Superman-2.jpg?fit=269%2C296&amp;ssl=1" data-id="2162" src="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/12/Superman-2.jpg?resize=269%2C296&#038;ssl=1" alt="" class="wp-image-2162"/></figure>
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Il y a des questions importantes que l’on hésite à aborder si l’on n’est pas un spécialiste. C’est pour moi le cas de l’Intelligence artificielle (IA)&nbsp;: faute d’avoir trouvé un spécialiste pour en parler, nous nous contentons donc de faire état de la question à partir d’une documentation limitée. Seule certitude&nbsp;: le sujet est important pour notre avenir et nous voulons commencer à l’évoquer pour nos lecteurs.



Rien d’étonnant à ce que le journal Le Monde ait consacré une double page à l’affaire Sam Altman<a href="#397e7401-4a96-46eb-ae29-bea8d551e9eb" id="397e7401-4a96-46eb-ae29-bea8d551e9eb-link">1</a>, inventeur de Chat GPT dans son entreprise Open AI. Directeur général, licencié par le Conseil d’administration de son entreprise, il a connu un retour triomphal quelques jours plus tard, soutenu par 700 employés sur 770. Comme E. Musk, Sam Altman croit dans le potentiel immense de l’Intelligence artificielle. E. Musk déclarait déjà en 2014 que l’IA est « potentiellement plus dangereuse que les bombes nucléaires ». Ne serait-ce que les conséquences sur les suppressions d’emploi que pourrait entraîner une généralisation de l’IA. Et pour souligner l’importance de l’inventeur de Chat GPT le journaliste du Monde écrit : « En mai…il fait une tournée digne d’un chef d’État, passant par Washington, Toronto, Rio, Lagos, Séoul, Varsovie, Londres, ou Paris, où il est reçu par Emmanuel Macron ».



Selon l’article du Monde le licenciement tout provisoire de Sam&nbsp;Altman était justifié parce qu’il «&nbsp;cherchait à avancer et à lancer des produits à un rythme trop rapide, dans un but jugé trop commercial et contraire à la politique de sûreté d’Open AI&nbsp;» qui construit une IA qui bénéficie à toute l’humanité. Son retour est interprété de la manière suivante dans un autre article du Monde&nbsp;:&nbsp;



«&nbsp;Open AI a clairement tranché entre éthique et profit en faveur de ce dernier. Ce dénouement montre que les bonnes intentions ne seront pas suffisantes pour préserver l’IA générative d’une logique économique classique&nbsp;»<a href="#39de05f7-6f05-4f6a-bb97-52ead22fc81b" id="39de05f7-6f05-4f6a-bb97-52ead22fc81b-link">2</a>.



Avant d’écrire cet article j’ai demandé à quelques amis ce qu’ils pensaient de l’IA. L’un d’eux m’a répondu&nbsp;:



«&nbsp;J&rsquo;avoue avoir été assez convaincu par les explications du PDG de Microsoft sur internet, qui disait à peu près la chose suivante : « oui, il y a des risques, oui il faut de la régulation, mais la situation n&rsquo;est pas fondamentalement différente de celle que l&rsquo;on a connu après l&rsquo;invention de l&rsquo;électricité. On s&rsquo;est aperçu qu&rsquo;on risquait des incendies et autres accidents graves si l&rsquo;on ne mettait pas partout des disjoncteurs et des interrupteurs. Pour l&rsquo;IA, c&rsquo;est pareil, nous ne serons pas assez fous pour créer des systèmes susceptibles de prendre des décisions à notre place sans dispositifs de sécurité permettant de les débrancher à tout moment. Mais il faudra bien-sûr que les autorités publiques s&rsquo;en mêlent. » J&rsquo;avoue que cela m&rsquo;a paru assez cohérent et sensé. Les promesses étant immenses, notamment en matière de santé (diagnostic médical), on ne bloquera pas la recherche, mais je crois que tous les gens un peu responsables sont conscients du fait qu&rsquo;il faudra des garde-fous&nbsp;».



Mais un autre ami qui ne partageait pas ce point de vue&nbsp; considérait que l’IA était beaucoup plus inquiétante que l’invention de l’électricité :



«&nbsp;Les potentialités de l&rsquo;IA sont immenses et étonnantes. Certains de ses effets peuvent être dévastateurs en matière d’emplois (cf. les grèves des comédiens et des scénaristes à Hollywood), de désinformation et de manipulation de l&rsquo;information, de l&rsquo;évolution du cerveau humain (on le voit déjà sur les impacts de certains algorithmes sur les capacités d&rsquo;attention des individus) etc. &nbsp; Il est temps de mettre en place un système de régulation au niveau des États comme a commencé à le faire l&rsquo;Europe avec l&rsquo;IA Act. Une structure du type GIEC, serait aussi une bonne idée pour confronter les points de vue des experts et pour exposer les enjeux de leurs débats en impliquant des cogniticiens, des neuroscientifiques, des politologues, des sociologues, des psychologues&nbsp;».



Dès avril 2021, la Commission européenne a proposé que des systèmes d&rsquo;IA qui peuvent être utilisés dans différentes applications soient analysés et classés en fonction du risque qu&rsquo;ils présentent pour les utilisateurs, ce qui impliquera plus ou moins de réglementation. Une fois approuvées, ces règles seront les premières au monde sur l&rsquo;IA. Les pourparlers vont maintenant commencer avec les pays de l&rsquo;UE au sein du Conseil sur la forme finale de la loi.



Selon une information de Mediapart du 1er décembre, la position de la France serait la suivante après le départ de Cédric O du gouvernement et sa nouvelle embauche par Mistral AI, fleuron de l&rsquo;intelligence générative :&nbsp;



« Comme Secrétaire d’État chargé du numérique, Cédric O défendait la régulation de l’intelligence artificielle. Il conseille à présent l’inverse à Élisabeth Borne, en tant que lobbyiste du secteur, au nom de la principale start-up française&nbsp;».&nbsp;



Avec l’Intelligence artificielle nous avons donc un sujet important et la façon dont notre société va l’aborder conditionne en partie notre avenir.


<ol class="wp-block-footnotes"><li id="397e7401-4a96-46eb-ae29-bea8d551e9eb">Le Monde daté du 25 nov. 2023, pp. 18 et 19. Article très documenté signé par Alexandre Piquard. <a href="blob:https://changement-de-cap.fr/354cd280-4d53-4af6-8453-1a0a22d93c7a#39de05f7-6f05-4f6a-bb97-52ead22fc81b-link"></a> <a href="#397e7401-4a96-46eb-ae29-bea8d551e9eb-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 1">↩︎</a></li><li id="39de05f7-6f05-4f6a-bb97-52ead22fc81b">Le Monde daté du 28 nov., article de Stéphane Lauer. OpenAI : profit 1-éthique 0 . <a href="#39de05f7-6f05-4f6a-bb97-52ead22fc81b-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 2">↩︎</a></li></ol>

Quel avenir avec l’Intelligence artificielle ?

<figure class="wp-block-image size-large"><img data-recalc-dims="1" decoding="async" src="https://i0.wp.com/www.lechappee.org/sites/default/files/styles/image_colorbox/public/images-ouvrages/La-nature-du-combat.png?ssl=1" alt=""/></figure>



Bernard Charbonneau et Jacques Ellul&nbsp;: La nature du combat, pour une révolution écologique. Éditions de l’Échappée Paris 2021. Recueil d’articles publiés conjointement de 1983 à 1985 dans la revue Combat Nature.



Tous deux Bordelais, Bernard Charbonneau (1910-1996) et Jacques Ellul (1912-1994) se sont rencontrés au lycée vers 1927. Ils découvrent rapidement qu’ils partagent la même conviction que le développement accéléré de l’industrie, de la technique et de l’État menace la liberté de l’homme. Tout part de là : l’expérience partagée d’une contradiction entre l’exigence d’une liberté qui veut être personnellement vécue en s’incarnant dans les actes de la vie quotidienne, et l’obstacle que lui opposent les structures impersonnelles de la société industrielle et technicienne. Ainsi « unis par une pensée commune », comme l’écrira Charbonneau, les deux amis s’engagent dans une action qu’ils veulent révolutionnaire. En 1935, Charbonneau a vingt-cinq ans et Ellul vingt-trois, nos deux jeunes gascons rédigent en commun les Directives pour un Manifeste personnaliste<a href="#559521bf-53bd-4880-af39-7e5b511da395" id="559521bf-53bd-4880-af39-7e5b511da395-link">1</a>, texte en quatre-vingt-trois propositions qui pose un diagnostic prémonitoire sur les impasses de la civilisation industrielle, technicienne et étatiste et qui débouche sur un appel à lutter « pour une cité ascétique afin que l’homme vive », ce que l’on appelle aujourd’hui la décroissance. Et ils concluent « Que tous ceux qui croient avoir un rôle à jouer dans la révolution qui vient (contre une civilisation qui ne vit que de notre mort) se préparent en eux-mêmes. Puis, qu’ils viennent et nous aident. » On peut voir dans ce texte l’acte fondateur de l’écologie politique française.



Cette amitié durera près de soixante-dix ans. Dans l’introduction de ce volume Frédéric Rognon en retrace les étapes et montre la fécondité prémonitoire des analyses développées dans de nombreux livres par les deux membres de cette « École de Bordeaux » d’écologie politique<a href="#3b256e3e-6f0e-4a01-b8c1-5f00655d4fa9" id="3b256e3e-6f0e-4a01-b8c1-5f00655d4fa9-link">2</a>. Il montre aussi comment, unis par cette pensée de la liberté, Charbonneau et Ellul l’ont été aussi dans l’action. Actions de terrain, comme lorsque, pendant les années soixante-dix ils ont créé et animé le Comité de Défense de la Côte Aquitaine contre les projets technocratiques de développement du tourisme de masse. Actions dans le champ intellectuel en organisant des camps de réflexion (on dirait aujourd’hui : des universités d’été) ou bien en intervenant par des articles ou des conférences.



C’est ainsi que de 1983 à 1985, à la demande d’Alain de Swarte, directeur de la revue écologiste trimestrielle Combat Nature, près de cinquante ans après la rédaction des Directives de 1935, les deux gascons reprennent la plume pour écrire en commun non plus un seul texte mais une série d’articles qui seront publiés en parallèle dans onze numéros successifs de cette revue.  Cet ensemble a une unité et une cohérence telles qu’on peut le considérer comme un seul ouvrage dont les vingt-deux chapitres ont été rédigés alternativement par l’un ou par l’autre des deux penseurs, chacun avec son point de vue : Ellul celui de l’historien protestant, Charbonneau celui du géographe (mais aussi historien) agnostique.



Combat Nature, son nom l’indique bien, s’adressait à un public déterminé à résister aux multiples manifestations de la dévastation environnementale qui résulte de l’emballement techno-industriel.  Charbonneau et Ellul s’engagent dans un travail pédagogique pour montrer qu’au-delà des nécessaires actions locales, et à partir de celles-ci, il faut aussi promouvoir un changement de civilisation. Les articles qu’ils rédigent à l’intention de ce public militant se situent donc à la jonction du théorique et du pratique pour clarifier la question du sens de l’action. Présentés dans une langue claire et sans jargon, sans jamais perdre de vue la nécessité d’une action, ces textes proposent de remettre en perspective les enjeux de l’écologie politique afin d’orienter l’action et définir des priorités ; ce faisant ils offrent une synthèse de plus de quarante années de recherche et de réflexion sur les grands défis auxquels nous sommes confrontés chaque jour par la civilisation technicienne. Nos deux penseurs qui connaissaient bien les pièges de l’action et de l’activisme sont aussi attentifs à mettre en garde leurs lecteurs contre deux tentations dont la séduction ne cesse de grandir, celle de l’accès prématuré au pouvoir politique et celle de la fuite en avant dans un développement technologique et industriel « vert ».



Quarante ans plus tard l’ensemble de ces textes n’a rien perdu de son actualité et on ne peut que se féliciter que les éditions de l’Echappée aient décidé de rendre ce recueil accessible au public préoccupé par l’écologie politique. Après avoir publié Le Totalitarisme industriel de Charbonneau puis L’empire du non-sens d’Ellul, c’est faire preuve d’une belle cohérence. Ce recueil permettra aux lecteurs d’avoir une vue beaucoup plus complète et nuancée de la pensée des deux amis. C’est pourquoi il a semblé également nécessaire d’inclure en annexe un article publié ultérieurement par Ellul dans Combat Nature dans lequel il aborde la question des relations entre Écologie et politique.



Outre un éclairage très utile pour penser les problèmes que nous avons à affronter, ces textes offrent aussi un témoignage émouvant sur une amitié et un partenariat intellectuel hors du commun, de la fin de l’adolescence jusqu’à la mort. En dépit de leurs différences de tempérament et de spiritualité, la communauté de pensée de Charbonneau et Ellul ne s’est jamais démentie. Ceux qui ont lu les Directives pourront mesurer à quel point les deux amis sont restés fidèles à leurs intuitions et à leurs valeurs initiales.



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<ol class="wp-block-footnotes"><li id="559521bf-53bd-4880-af39-7e5b511da395">Texte publié dans : Charbonneau, Bernard et Ellul, Jacques : Nous sommes révolutionnaires malgré nous, textes pionniers de l’écologie politique. Collection anthropocène. Seuil, Paris 2014. <a href="#559521bf-53bd-4880-af39-7e5b511da395-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 1">↩︎</a></li><li id="3b256e3e-6f0e-4a01-b8c1-5f00655d4fa9">Voir à ce sujet : Christian Roy « Ecological Personalism: The Bordeaux School of Bernard Charbonneau and Jacques Ellul » in Ethical Perspectives, 1999. <a href="#3b256e3e-6f0e-4a01-b8c1-5f00655d4fa9-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 2">↩︎</a></li></ol>

Politiser la technique et nos pratiques

Refonder nos modèles de production pour réussir notre renaissance industrielle

Repenser l’éthique à l’ère de l’anthropocène

Plaidoyer pour une IA humaniste

Quel avenir avec l’Intelligence artificielle ?

L’acte fondateur de l’écologie politique française