L’école de la réconciliation

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L’actualité nous offre bien des raisons de nous inquiéter : le maintien en fonction, malgré leur mise en examen, de Dupont Moretti ministre de la Justice, ou d’Alexis Kohler bras droit de notre Président. Ce qui a permis à un député d’oser dire que l’on passait d’un E.Macron jupitérien lors de son 1er mandat, à E.Macron « parrain » lors de son 2ème. Autre actualité qui nous saute aux yeux : la pagaïe du manque d’essence que n’a pas vu venir le gouvernement. Ce qui a amené Xavier Bertrand, président L.R. des Hauts de France à déclarer : « Où sont leurs capteurs ? C’est comme pendant les « gilets jaunes » ils n’ont rien vu venir ».

Nous laisserons pourtant de côté cette actualité pour parler d’une réalisation impressionnante relatée par son promoteur Jérémie Fontanier dans le livre « L’école de la réconciliation »[1]. L’ECCAP a eu déjà l’occasion de souligner la nécessité de changer l’école pour sauver notre démocratie dans un article de F.Dubet, dans les articles de B.Viard. 

Les différentes étapes de cette réalisation impressionnante sont analysées par l’auteur. Impressionnante parce que les progrès sont remarquables dans un quartier défavorisé où les élèves ont souvent intériorisé qu’ils ne sont pas capables de réussir. Alors que dans le lycée, de 2002 à 2012, un tiers des élèves de Terminale Economique et Social échouait au bac, il y a eu de 2018 à 2022, 100% de réussite, cinq années de suite. De tels résultats ne se sont pas faits sans mal. L’auteur nous décrit les différentes étapes de la méthode qu’il a lui-même progressivement découverte et élaborée. 

Il commence par un état des lieux de l’école dans les quartiers populaires et rappelle quelques faits. « Au lycée, le taux de bacheliers est aujourd’hui de 50% chez les enfants d’ouvriers, alors qu’il est de 90% chez les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures… Il souligne la sous-dotation en moyens humains des départements les plus modestes de France : « en Seine St Denis…il y a « moins de tout » (policiers, magistrats ou, à l’école, médecins et enseignants) et le sous-investissement public est tel qu’il est possible d’affirmer que l’Etat fait des économies « sur le dos » des élèves et des familles des quartiers populaires »[2]. Les enseignants qui accueillent les élèves les plus défavorisés sont aussi les plus jeunes et les moins expérimentés et plus souvent des contractuels. Autrement dit c’est « la faute du système » constate l’auteur[3]. Mais il n’en reste pas là et parle tout d’abord de Gaëlle qui avait la volonté de bien faire mais dont les prises de note étaient incohérentes. Le professeur a alors pris conscience qu’il avait « trop souvent fait des sous-entendus et eu recours à des raccourcis dans les connexions logiques ». Constatant la bonne volonté de Gaëlle et avec l’accord de sa mère, le professeur a consacré bien des heures à travailler avec elle à la médiathèque de Gagny pour « tout recommencer, revenir sur les idées, réexpliquer les liens logiques…Gaëlle ne subissait plus, elle devenait capable de compréhension fine du cour…Gaelle retrouvait le goût d’apprendre, l’envie ». « Me voici donc du haut de mes six semaines d’expérience dans l’Education Nationale, rejoignant la grande famille « des profs qui font des choses en plus » ». 

Les étapes pour assurer la réussite de tous.
« Si un monde nouveau s’était ouvert avec Gaëlle, alors pourquoi n’en irait-il pas de même pour Hugo, Asna, Jayson, Clémentine, Hilem ou Sidrah ? » Il est impossible de résumer en quelques lignes le cheminement et la prise de conscience progressive de l’auteur du livre « L’école de la réconciliation », mais il est possible de rappeler sèchement quelques étapes de ce qui a permis la réussite de tous au baccalauréat. L’auteur a pris conscience que si les élèves « ne voulaient pas et semblaient ne pas pouvoir travailler plus que cela, peut-être fallait-il les brusquer un peu. Alors je suis devenu sévère ». Au lieu de faire un contrôle par mois il a fait un contrôle tous les mardis avec 20 questions dans un Questionnaire à Choix Multiple portant sur la semaine qui précédait. « La consigne était clair : 30 à 45 minutes par jour de relecture à la maison ». 

Puis l’auteur a décidé un jour une nouvelle règle : « en dessous de 4/10 au QCM j’appelle les parents ». C’était du jamais vu, compte tenu des relations habituellement très lâches de l‘école avec les parents. N’était-ce pas un coup de bluff très risqué ? Il s’est avéré que « de l’autre côté de ces froids numéros de téléphone se trouvaient de nouveaux alliés que j’allais pouvoir rencontrer…J’avais l’impression de découvrir un nouveau continent ».  

Au sein de l’Education Nationale, non seulement la coopération avec les familles est habituellement limitée, elle l’est aussi entre les professeurs. Avec David, professeur de mathématiques, qui voyait les progrès des élèves avec son collègue Jérémie, une collaboration a commencé à s’instaurer. Chacun assistait parfois au cours de l’autre. David est devenu « un frère d’armes ». « Echanger régulièrement entre collègues, c’était s’obliger à rompre avec la posture confortable et même flatteuse…de l’enseignant qui travaille de façon isolée…Plus nous unissions nos efforts, plus nous étions forts ». Progressivement la collaboration avec les autres professeurs et les familles s’est affirmée et alors « rien ne pouvait plus nous empêcher de faire réussir tous les élèves ».  

Le terme « réconciliation » s’est imposé à l’auteur. Tout d’abord réconciliation des élèves avec eux-mêmes. « David et moi avons le sentiment de n’être que de simples miroirs, plaçant les élèves face à leur propre puissance intellectuelle, morale, esthétique. « Monsieur, j’y arrive ! » » Réconciliation aussi entre membres de la même équipe pédagogique et entre l’école et les familles. Enfin une quatrième grande réconciliation « celle des professeurs avec l’école, celle des enseignants avec eux-mêmes » et fiers du métier d’enseignant. 

Est-ce généralisable ? 
La médiatisation de cette réalisation a commencé. Et « durant l’année scolaire 2021-2022, une dizaine de collègues ont décidé de s’inspirer de la méthode élaborée à Drancy…Pour les collègues qui nous rejoignent les débuts sont forcément chronophages ». Mais l’auteur nous dit qu’en période de croisière, ni lui, ni son collègue David ne travaillent plus que leurs collègues.

L’auteur écrit : « si nous avons eu besoin de dix ans afin d’élaborer la méthode et de la rendre suffisamment efficace pour la faire connaître, une décennie supplémentaire semble nécessaire afin de constituer un groupe de collègues partants pour expérimenter la co-éducation telle que nous l’avons imaginée à Drancy. D’une dizaine de collègues en 2021, nous pensons qu’il est possible d’être une centaine dans quelques mois et un millier à l’horizon 2030 ». 

Quel sera l’impact du Conseil national de la refondation (CNR) lancé par le gouvernement le 3 octobre ? Pour le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, l’objectif est de « donner plus de liberté d’innovation aux équipes » et de « créer dans chaque territoire, une dynamique autour de l’école en associant les parties prenantes ». Il souhaite insuffler « une nouvelle culture » et mise sur un « effet d’entraînement » entre les établissements lorsque les premiers projets verront le jour[4]. Terrible question devant nous : le renforcement de l’autonomie va-t-il entraîner une aggravation des inégalités, au nom de l’idée que « quand on veut, on peut » comme si la méritocratie n’était pas une chimère dans le système actuel[5], ou au contraire va-t-on faire de l’école de la réconciliation un exemple à suivre ? 

Guy Roustang

 
[1] La réconciliation. Un professeur à Drancy. Ed. Les liens qui libèrent, 2022.
[2] « Evaluation de l’action de l’Etat dans l’exercice de ses missions régaliennes en Seine St Denis » rapport de l’Assemblée nationale, 2018. 
[3] L’auteur s’inquiète du risque d’instrumentalisation politique possible : puisque des professeurs sans moyens supplémentaires réussissent, pourquoi ne pas poursuivre « la politique d‘austérité budgétaire touchant l’école en France ». Voir p.167.
[4] Le Monde du 6 oct.2022, p.16.
[5] Voir « La Croix-l’hebdo, 24/25 sept. p.34 ». Jérémie Fontanieu interviewé déclare : « les éléments de langage du gouvernement continuent d’entretenir le mythe du « quand on veut, on peut » ».