
<figure class="wp-block-image size-large"><img data-recalc-dims="1" decoding="async" src="https://i0.wp.com/www.ordinal.fr/images/2-services/Sujets_de_reflexion/intelligence-artificielle.jpg?ssl=1" alt=""/></figure>



<p>L’objectif de cet article est de rendre compte des réflexions de Bernard Stiegler<a href="#sdfootnote1sym" id="sdfootnote1anc"><sup>1</sup></a> et du collectif<em> Internation</em> sur la nécessité de repenser l’éthique au XXI<sup>è </sup>siècle. Ce thème a fait l’objet d’un chapitre de leur livre collectif «<em> Bifurquer</em> »<a href="#sdfootnote2sym" id="sdfootnote2anc"><sup>2</sup></a> dans lequel les auteurs, pour sortir des différents désordres et menaces de l’Anthropocène<a href="#sdfootnote3sym" id="sdfootnote3anc"><sup>3</sup></a>, « redessinent le monde tel qu’il devrait être pour répondre aux grandes crises sanitaires, climatiques, sociales, économiques ou psychiques ».</p>



<p>Les auteurs de <em>Bifurquer</em> nous alertent que dans le contexte actuel des sociétés industrielles hyper-informatisées du XXI<sup>è</sup> siècle « nos comportements humains, nos devoirs et nos caractères sont désormais façonnés par des systèmes artificiels automatisés et organisés souvent à l’échelle planétaire »<a href="#sdfootnote4sym" id="sdfootnote4anc"><sup>4</sup></a>. Et de préciser : « ces systèmes n’influencent pas seulement les choix personnels, mais aussi les précèdent et les prennent de vitesse par le biais des infrastructures algorithmiques<a href="#sdfootnote5sym" id="sdfootnote5anc"><sup>5</sup></a> de la « nouvelle économie des données »<strong> </strong>». Ils attirent ainsi notre attention sur le fait que cette nouvelle économie échappe au contrôle social et politique.</p>



<h2 class="wp-block-heading">Distinguer éthique et morale</h2>



<p>Pour les auteurs de <em>Bifurque</em>r, la vie éthique, signifie « bien agir ». Ils nous avertissent que la difficulté pour parler de l’éthique est sa proximité ou sa confusion avec la morale, ces deux termes paraissant souvent équivalents. En effet, le mot éthique vient du grec <em>ethos</em> qui fut traduit en latin par<em> mores</em>, ou morale. Ces deux termes renvoient tous deux de manière générale « aux mœurs, aux coutumes et plus généralement aux règles qui norment les conduites humaines ». Ces deux termes sont distingués par le collectif <em>Bifurquer</em>, mais pour mieux comprendre leur propos il est utile de bien préciser leur différence. C’est ce que fait Paul Ricœur<a href="#sdfootnote6sym" id="sdfootnote6anc"><sup>6</sup></a>, en constatant qu’ils recouvrent des réalités nettement distinctes selon que l&rsquo;on met l&rsquo;accent sur ce qui est estimé bon ou sur ce qui s&rsquo;impose comme obligatoire. C&rsquo;est par convention qu’il réserve le terme « éthique » pour la visée d&rsquo;une vie accomplie sous le signe des actions estimées bonnes, et celui de « morale » pour le côté obligatoire, marqué par des normes, des obligations, des interdictions caractérisées à la fois par une exigence d&rsquo;universalité et par un effet de contrainte. « On reconnaitra aisément dans la distinction entre visée de la vie bonne et obéissance aux normes l&rsquo;opposition entre deux héritages : l&rsquo;héritage aristotélicien, où l&rsquo;éthique est caractérisée par sa perspective téléologique (de<em> telos</em>, signifiant « fin ») ; et un héritage kantien, où la morale est définie par le caractère d&rsquo;obligation de la norme ».</p>



<p>Comme le dit Ricœur, l’éthique vient comme encadrer la morale en la questionnant sur ses fondements et ses fins. Si la morale est le «&nbsp;royaume des normes, l’éthique est celui de la réflexion philosophique sur les principes et les fins qui les justifient&nbsp;»<a href="#sdfootnote7sym" id="sdfootnote7anc"><sup>7</sup></a>. Les auteurs de <em>Bifurquer</em> se situent dans la même approche, mais en mettant en avant la dimension de l’éthique comme lieu de conflits. « En un mot, la vie éthique, tant qu’elle signifie bien agir, est toujours conflictuelle. Bien agir revient pas nécessairement à suivre ce qui est défini comme acceptable, bien ou juste par la philosophie morale&nbsp;».</p>



<h2 class="wp-block-heading">Ethique et algorithmes, deux conceptions différentes des comportements humains</h2>



<p>Jusqu’ à récemment on a pu dire que l’éthique est un caractère particulier, qui appartient à la fois à la communauté en tant que coutumes et à l’individu en tant que caractère moral. « En tant que caractère particulier d’une communauté, l’éthos se manifeste dans ses coutumes, ses habitudes et ses traditions : c’est une articulation inconsciente et non rationnelle dont les choses devraient être au motif qu’elles ont toujours été. Dans la vie ordinaire, le caractère éthique des individus reflète l’éthos de leur communauté : les gens suivent les coutumes et croyances qui les rassemblent ». La force de l’éthique ne signifie pas que tout éthique serait juste mais est qu’elle s’impose, au nom de la coutume, au nom de la justice divine. « Mais le devoir éthique appelle parfois à contester les habitudes bornées, les traditions répressives et les lois injustes ».</p>



<p>Dans le monde contemporain, dans nos sociétés industrielles hyper-informatisées, le comportement des individus est déterminé d’une manière radicalement différente. « Bien sûr, la coutume et l’habitude jouent toujours un rôle. Mais l’éthique du monde contemporain est de plus en plus marquée par la vie algorithmique et la gouvernementalité algorithmique qui conditionnent la vie éthique elle-même ». Il nous faut savoir que des domaines de la gouvernance algorithmique sont de plus en plus créés, ainsi que leur architecture technologique par de grandes entreprises mondiales qui ne répondent qu’au besoin du capitalisme. « Cela ne signifie pas que les algorithmes dicteraient des règles éthiques, mais que l’espace social dans lequel l’action éthique peut avoir lieu est d’avance aménagé par des algorithmes », ils structurent ce qui apparait comme possible et tendent en même temps à supprimer des virtualités alternatives.</p>



<h2 class="wp-block-heading">La gouvernance algorithmique remplace l’éthique</h2>



<p>Les auteurs de <em>Bifurquer</em>, nous rappelle qu’une des fonctions de l’éthique traditionnelle était d’attribuer différentes tâches à différents types de personne, par exemple on s’attendait que les hommes fassent la guerre, que les femmes restent à la maison. Il précisent que les algorithmes sociaux informatiques peuvent être utilisés aussi pour sélectionner les personnes (pour obtenir un prêt bancaire, un emploi, une place dans un établissement d’enseignement supérieur, &#8230;). « Il a été démontré que, au lieu de diminuer les discriminations, ils peuvent l’augmenter, en enfermant les gens dans leurs positions sociales antérieures ».</p>



<p>L’éthique traditionnelle était rarement questionnée parce que « l’<em>ethos </em>était ordonné par les dieux ». Un algorithme social n’est pas dicté par les dieux, « il est programmé par des ingénieurs, appelés <em>data scientists</em>, suivant les commandes de leurs clients. Les personnes qui y sont soumises ne peuvent ni le savoir, ni le remettre en cause ».</p>



<p>Les auteurs de <em>Bifurquer</em> font le constat que « les algorithmes sociaux ne sont pas du même ordre que l’éthique : ils ont des temporalités différentes » L’éthique traditionnelle n’a pas d’origine définie, « elle est une habitude qui a toujours été là et qui est valable parce que les gens la répètent ». Ce n’est pas le cas d’un algorithme social « qui peut être mis à jour par ses programmeurs, mais ne peut pas être modifié par les personnes qu’il gouverne : on ne peut pas dire non à un algorithme ». En outre, l’éthique et les algorithmes sociaux constituent une relation tout à fait différente à l’avenir : « un algorithme social n’admet pas de critique, et il n’est pas ouvert à un véritable hasard. En ce sens il ne laisse pas de place aux choix existentiels »</p>



<h2 class="wp-block-heading">Repenser l’éthique depuis la société industrielle hyper-informatisée</h2>



<p>Une action peut être jugée éthique tant que celui qui agit est responsable de ce qu’il fait, et capable d’anticiper les conséquences de ses actes. C’est pour cette raison qu’un acte éthique ne peut jamais être automatique. D’où la question posée par le collectif<em> Internation </em>auteur de <em>Bifurquer</em> : « Comment réinventer la vie éthique au moment où un grand nombre de nos actions sont devenues automatisées ? ». Plusieurs éléments de réponse ont été apportées par cet ouvrage :</p>



<ul class="wp-block-list">
<li>« Ouvrir l’époque de l’éthique dans une société hyper-informatisée, consiste d’abord à reprendre le contrôle sur nos données, en redéfinissant les structures mêmes, et à en faire la question d’une nouvelle économie politique afin de les mettre au service de nouveaux modes d’organisation sociale permettant d’agir éthiquement ».</li>
</ul>



<ul class="wp-block-list">
<li>« Parce que le système technique dans lequel nous vivons est global, nous avons besoin de règlementations éthiques globales pour la conception, la production et la commercialisation des éléments de système technique &#8211; notamment par rapport aux applications de l’IA ».</li>
</ul>



<ul class="wp-block-list">
<li>« Un éthos est local par le fait que c’est un caractère qui est localisé dans un milieu habituel. L’éthique que nous essayons de penser est située, et pour cette raison elle est responsable. Elle porte moins sur les valeurs que sur les principes et sur l’organisation qui permet de maintenir ces principes afin de rendre les citoyens capables de former et transformer leurs valeurs à eux. De fait, un éthos universel ou global n’existe pas, ce qui veut dire que n’existent pas non plus des valeurs dites universelles ».</li>
</ul>



<ul class="wp-block-list">
<li>« Redéfinir l’éthique, consiste à observer comment nous tous pouvons et devons parler de l’éthique à travers la multiplicité des philosophies et des langues comme leurs supports matériels ». En réduisant la technologie en simples fonctionnalités, le langage technologique a conduit à l’avènement d’une culture mono-linguistique qui affecte les éthiques locaux. « Donner un nouveau souffle à l’éthique implique de reconnaître que la diversité linguistique est bien plus qu’une chose à préserver dans la logique culturelle : elle devrait plutôt être considérée comme la condition matérielle de ce que Adam Smith a décrit comme la richesse des nations ».</li>
</ul>



<ul class="wp-block-list">
<li>« La vie éthique est insoutenable indépendamment de la techno-diversité. L’enjeu est de repenser la technique à partir de la catégorie de la diversité C’est précisément pour cela que cette techno-diversité doit être protégée, afin de sauver les localités et de rendre leurs habitants capables de les transformer technologiquement et, par conséquent de conserver leur éthos ».</li>
</ul>



<h2 class="wp-block-heading">Conclusion</h2>



<p>Pour les auteurs de <em>Bifurquer</em>, à l’ère de l’anthropocène, il nous faut d’une manière radicale changer notre manière de penser l’éthique, «&nbsp;il est urgent de déplacer la question de l’éthique de la sphère des choix personnels vers la sphère de l’organisation des systèmes industriels&nbsp;». Il s’agit de contribuer à l’émergence de nouvelles économies politiques et de nouvelles organisations qui permettent de rendre les citoyens capables de former et de transformer leurs valeurs à eux. En ce sens on peut dire «&nbsp;la question éthique doit être posée comme celle de l’organisation de la vie dans des sociétés hyper-industrielles, plutôt que comme celle des valeurs&nbsp;».</p>



<p><em>Bifurquer </em>constitue une contribution importante au débat sur l’éthique à l’ère de l’anthropocène, qui devra être complétée par d’autres travaux. Son apport spécifique est de repenser l’éthique &#8211; non en se centrant sur les changements climatiques, la perte de biodiversité, l’accélération de l’érosion, .. -, mais en partant des transformations des comportements des humains provoqués par les sociétés industrielles automatisées.</p>



<p><a href="#sdfootnote1anc" id="sdfootnote1sym">1</a> Bernard Stiegler (1952-2020) philosophe, il est auteur de nombreux ouvrages. Le cœur de sa recherche portait sur les enjeux des mutations actuelles, liées au développement technologique et aux évolutions de la société.</p>



<p><a href="#sdfootnote2anc" id="sdfootnote2sym">2</a> Bernard Stiegler, <em>Bifurquer, Il n’y a pas d’alternative</em>, Les Liens Qui Libèrent, 2021.</p>



<p><a href="#sdfootnote3anc" id="sdfootnote3sym">3</a> Le terme Anthropocène – théorisé par le prix Nobel de chimie néerlandais Paul Crutzen &#8211; a été proposé pour désigner l&rsquo;époque dans laquelle l&rsquo;action des hommes a commencé à provoquer des changements bio-géophysiques à l&rsquo;échelle planétaire. <a href="https://www.eccap.fr/article/lanthropo-technocene">Voir aussi cet article</a>.</p>



<p><a href="#sdfootnote4anc" id="sdfootnote4sym">4</a> Pour plus de détail voir <a href="https://www.eccap.fr/article/economie-numerique-de-lattention-et-manipulation">cet article</a>.</p>



<p><a href="#sdfootnote5anc" id="sdfootnote5sym">5</a> Dans le domaine de l’informatique, les algorithmes sont des programmes qui fournissent aux ordinateurs un guide d’instructions pour effectuer des actions ou manipuler des données</p>



<p><a href="#sdfootnote6anc" id="sdfootnote6sym">6</a> <a href="ttps://entrorger-anndefrenne.com/wp-content/uploads/2021/06/RICOEUR-P._Ethique-et-morale_Extrait-de-Lectures-1_1990_.pdf">Texte accessible en ligne ici.</a></p>



<p><a href="#sdfootnote7anc" id="sdfootnote7sym">7</a> <a href="https://shs.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2016-1-page-19?lang=fr">Extrait de ce texte </a></p>


Repenser l’éthique à l’ère de l’anthropocène


<figure class="wp-block-image size-full"><img data-recalc-dims="1" loading="lazy" decoding="async" width="324" height="243" data-attachment-id="2138" data-permalink="https://changement-de-cap.fr/2023/11/15/cest-quoi-la-vie-a-la-lumiere-des-sciences-modernes/perrin-2/" data-orig-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Perrin.jpg?fit=324%2C243&amp;ssl=1" data-orig-size="324,243" data-comments-opened="1" data-image-meta="{&quot;aperture&quot;:&quot;0&quot;,&quot;credit&quot;:&quot;&quot;,&quot;camera&quot;:&quot;&quot;,&quot;caption&quot;:&quot;&quot;,&quot;created_timestamp&quot;:&quot;0&quot;,&quot;copyright&quot;:&quot;&quot;,&quot;focal_length&quot;:&quot;0&quot;,&quot;iso&quot;:&quot;0&quot;,&quot;shutter_speed&quot;:&quot;0&quot;,&quot;title&quot;:&quot;&quot;,&quot;orientation&quot;:&quot;0&quot;}" data-image-title="Perrin" data-image-description="" data-image-caption="" data-medium-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Perrin.jpg?fit=300%2C225&amp;ssl=1" data-large-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Perrin.jpg?fit=324%2C243&amp;ssl=1" src="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Perrin.jpg?resize=324%2C243&#038;ssl=1" alt="" class="wp-image-2138" srcset="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Perrin.jpg?w=324&amp;ssl=1 324w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Perrin.jpg?resize=300%2C225&amp;ssl=1 300w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Perrin.jpg?resize=200%2C150&amp;ssl=1 200w" sizes="auto, (max-width: 324px) 100vw, 324px" /></figure>



<p>Dans l’article <em><a href="https://www.eccap.fr/article/du-sentiment-de-peur-au-desir-de-vivre">Du sentiment de peur au désir de vivre</a></em>, on concluait, à la lumière de Spinoza, que pour sortir de nos peurs (du changement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de la montée des discours haineux et des conflits armés, de la croissance des inégalités, des différentes formes de déclassement social,…), pour modifier en profondeur nos modes de vie, pour sortir de nos enfermements économique, culturel et politique, il nous fallait réanimer notre désir de vivre. On rappelait aussi que le désir de vivre, comme tout désir, mobilise la totalité de notre être (esprit et corps), c’est à dire nos capacités à la fois de raisonner et d’être en résonance par nos cinq sens avec nos milieux de vie matériel et immatériel (symbolique, imaginaire, culturel, spirituel, …). Plus fondamentalement, pour réanimer notre désir de vivre, il nous faut changer nos visions du monde et notre manière d’être au monde<sup data-fn="9c79bf45-24ae-4bb3-9076-3cad6f9a5c8a" class="fn"><a href="#9c79bf45-24ae-4bb3-9076-3cad6f9a5c8a" id="9c79bf45-24ae-4bb3-9076-3cad6f9a5c8a-link">1</a></sup>. Par rapport à cette quête existentielle, il est judicieux de remarquer que dans plusieurs disciplines scientifiques (biologie, astrophysique, neurosciences, anthropologie, éthologie,…) de nouveaux courants de pensée permettent d’apporter de nouvelles réponses au questionnement « c’est quoi vivre ? »<sup data-fn="82a635fd-8a49-4771-accc-09c4906733e1" class="fn"><a href="#82a635fd-8a49-4771-accc-09c4906733e1" id="82a635fd-8a49-4771-accc-09c4906733e1-link">2</a></sup>. Ces nouvelles connaissances scientifiques nous offrent l’opportunité d’imaginer d’autres manières d’être au monde, d’être en résonance et de vibrer d’une manière plus intense avec nos différents milieux de vie, c’est-à-dire de réanimer notre désir de vivre.</p>



<p><strong>L’Univers est à l’intérieur de nous</strong></p>



<p>Éveiller nos consciences à la magie de l’univers, c’est l’objectif que plusieurs astrophysiciens se sont donnés. On se souvient de la proposition d’Hubert Reeves : « nous sommes tous de la poussière d’étoiles ». Pour Trinh Xuan Thuan, « la cosmologie moderne a réenchanté le monde, en redécouvrant l’ancienne alliance entre l’homme et le cosmos ». Nos atomes d’hydrogène ont été fabriqués en moins de trois minutes, lors du big bang initial qui a eu lieu il y a 13,5 milliards d’années. Tous les autres atomes qui composent le corps humain, tels l’oxygène, le carbone, le calcium, le magnésium, etc.,  sont nés, soit de la fusion nucléaire au cœur des étoiles, soit dans les <em>supernovae</em>, explosions géantes résultant de la mort des étoiles massives . « Ainsi, les étoiles sont nos lointains ancêtres et nous partageons tous la même généalogie cosmique. Nous sommes les frères des lions de savane et les cousins des coquelicots des champs »<sup data-fn="3a1dc765-4a56-44cd-b225-11e736f6aa7d" class="fn"><a href="#3a1dc765-4a56-44cd-b225-11e736f6aa7d" id="3a1dc765-4a56-44cd-b225-11e736f6aa7d-link">3</a></sup>.</p>



<p><strong>L’histoire de la vie est à l’intérieur de nous</strong></p>



<p>Jean François Dortier, fondateur de la revue <em>Sciences Humaines</em> et de la revue <em>Humanologue</em>, en mobilisant les connaissances de l’astrophysique et de la biologie nous rappelle que : « Notre corps est composé de 65% d’eau. Cette eau vient des rivières, des lacs, des océans. Mais toute l’eau sur terre s’est formée aussi dans l’espace. Au fil du temps, c’est une pluie de météorites glacées qui ont formé les océans et les mers »<sup data-fn="92a27ddf-37d9-4796-8800-1c1947bbcca1" class="fn"><a href="#92a27ddf-37d9-4796-8800-1c1947bbcca1" id="92a27ddf-37d9-4796-8800-1c1947bbcca1-link">4</a></sup>. Et de rajouter : « La vie est née dans l’océan. Et pendant trois milliards d’années, elle y est restée. Puis les premiers organismes (des bactéries), des plantes, puis des animaux sont sortis des mers et ont colonisé la Terre. Nous autres, animaux terrestres, croyons avoir quitté notre océan primordial il y a bien longtemps. C’est faux. Nous restons des animaux marins. A la seule différence que nous transportons l’océan en nous ».</p>



<p><strong>La symbiose, principal processus d’innovation du monde vivant</strong></p>



<p>Dans son livre <em>Jamais seul, ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations</em>, le biologiste Marc André Selosse nous invite à découvrir que les symbioses microbiennes &#8211; qui ont émergé tardivement dans la biologie moderne- «&nbsp;envahissent aujourd’hui notre vision du vivant&nbsp;». Cet ouvrage décrit comment les animaux (et donc les humains), mais aussi les plantes, sont intimement construits par les micro-organismes (des bactéries, des micro-champignons, des levures) qui les habitent, et les aident à accomplir des fonctions variées et souvent vitales.</p>



<p>La symbiose au sens large, c’est-à-dire vivre ensemble, est le principal processus d’innovation dans le monde vivant. Par exemple, la formation des cellules des plantes et des animaux (et donc les nôtres) qui constitue «&nbsp;une découverte majeure de la biologie moderne&nbsp;», est le résultat d’un processus de symbiose entre plusieurs bactéries qui sont devenues à l’intérieur de nos cellules des composants vitaux pour la respiration et la photosynthèse.</p>



<p><strong>Vivre, &nbsp;c’est inter-agir avec son milieu</strong></p>



<p>S’appuyant sur les connaissances de la biologie et des neurosciences, le philosophe et anthropologue François Flahaut<sup data-fn="d2797cd5-c23a-4e4f-b17a-a6991c15711d" class="fn"><a href="#d2797cd5-c23a-4e4f-b17a-a6991c15711d" id="d2797cd5-c23a-4e4f-b17a-a6991c15711d-link">5</a></sup> propose de considérer l’écologie, comme une avancée scientifique qui consiste à penser le vivant avec ce qui le fait vivre, à penser l’organisme et  son biotope. Et de préciser : « Nous voyons bien que nous dépendons de la nourriture que nous mangeons, de l’air que nous respirons, l’alternance du jour et de la nuit : l’écologie physique ; il nous est cependant plus difficile de prendre conscience de l’écologie psychique dont nous dépendons. Pour passer de l’ontologie substantialiste<sup data-fn="0e0dd259-6ddf-4186-aba0-b84a5c1e7358" class="fn"><a href="#0e0dd259-6ddf-4186-aba0-b84a5c1e7358" id="0e0dd259-6ddf-4186-aba0-b84a5c1e7358-link">6</a></sup> à une ontologie relationnelle, il nous faut intégrer et assumer le fait que nous dépendons de toutes sortes d’aléas qui ne dépendent pas de nous. On croyait pouvoir maîtriser et voilà qu’il nous « faut faire avec »<sup data-fn="706bd841-d62e-46dd-ad03-d7f5aa2a29b5" class="fn"><a href="#706bd841-d62e-46dd-ad03-d7f5aa2a29b5" id="706bd841-d62e-46dd-ad03-d7f5aa2a29b5-link">7</a></sup>. L’homme, en son activité psychique, est lui aussi soumis à la propension à vivre qui anime tous les vivants et aux contraintes de son environnement : « notre je est le fruit d’une symbiose complexe entre biologie, société et culture ». Il est urgent d’abandonner notre conception occidentale de l’individu :  un être autonome, auto-existant, indépendant. En concevant le sujet humain comme un être relationnel, qui déploie son désir d’exister en étant affecté par ce qui l’entoure. F. Flahault nous propose « une image nouvelle de ce que nous sommes ».</p>



<p>La science moderne, la science en train de se faire, qui relève principalement de la raison, nous offre l’opportunité de construire de nouveaux imaginaires, de nouvelles images de ce que nous sommes, et de pouvoir ainsi augmenter notre capacité d’entrer en résonance avec nos différents milieux de vie. On rejoint ainsi par la science une caractéristique universelle des êtres humains que d’autres civilisations ont expérimenté par intuition, à partir de leurs relations symbiotiques avec le tout existant. Selon le philosophe camerounais Achille Mbembé « dans les systèmes africains de pensée, le propre du vivant était son indétermination, c’est-à-dire sa capacité de prolifération, de métamorphose permanente et de résonance avec tout l’existant ou encore les forces du cosmos »<sup data-fn="df188da1-6581-4e6f-97a2-434501c68603" class="fn"><a href="#df188da1-6581-4e6f-97a2-434501c68603" id="df188da1-6581-4e6f-97a2-434501c68603-link">8</a></sup>. Dans son livre, <em>Devenir vivants</em>, la philosophe Kodjo-Grandvaux nous avertit qu’il ne suffit pas de se représenter le monde, encore faut-il l’éprouver pour le connaître. « L’individu moderne rationnel, doit réapprendre à laisser parler son corps et ne plus être uniquement dans un rapport d’extériorité aux choses pour renouer avec l’émotion et l’intuition, cette intelligence qui comprend le monde ». Et de préciser, étymologiquement comprendre c’est « saisir ensemble », c’est en d’autres termes être en relation symbiotique, en résonance avec le tout existant.</p>



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<ol class="wp-block-footnotes"><li id="9c79bf45-24ae-4bb3-9076-3cad6f9a5c8a">Jacques Perrin, <em>Peut-on changer notre vision du monde ?</em> Librinova, 2021. <a href="#9c79bf45-24ae-4bb3-9076-3cad6f9a5c8a-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 1">↩︎</a></li><li id="82a635fd-8a49-4771-accc-09c4906733e1">On ne traitera dans cet article que de quelques exemples. <a href="#82a635fd-8a49-4771-accc-09c4906733e1-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 2">↩︎</a></li><li id="3a1dc765-4a56-44cd-b225-11e736f6aa7d">Trinh Xuan Thua, <em>Face à l’Univers, </em>Editions Autrement, 2015. <a href="#3a1dc765-4a56-44cd-b225-11e736f6aa7d-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 3">↩︎</a></li><li id="92a27ddf-37d9-4796-8800-1c1947bbcca1">Jean François Dortier, « L’univers est en nous »<em>, L’Humanologue</em>, septembre 2021, pp. 95-96 <a href="#92a27ddf-37d9-4796-8800-1c1947bbcca1-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 4">↩︎</a></li><li id="d2797cd5-c23a-4e4f-b17a-a6991c15711d">François Flahault, <em>L’homme une espèce déboussolée, Anthropologie générale à l’âge de l’écologie,</em> Fayard 2018. <a href="#d2797cd5-c23a-4e4f-b17a-a6991c15711d-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 5">↩︎</a></li><li id="0e0dd259-6ddf-4186-aba0-b84a5c1e7358">Ontologie : philosophie de l’être, s’interroge sur qu’est-ce que l’être ? Descartes, avec sa version sécularisée de l’âme comme « substance » pensante, est l’un des plus grands représentants de l’ontologie classique. <a href="#0e0dd259-6ddf-4186-aba0-b84a5c1e7358-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 6">↩︎</a></li><li id="706bd841-d62e-46dd-ad03-d7f5aa2a29b5">François Flahault, <em>op. cit.,</em> p. 43. <a href="#706bd841-d62e-46dd-ad03-d7f5aa2a29b5-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 7">↩︎</a></li><li id="df188da1-6581-4e6f-97a2-434501c68603">Achille Mbembe, « Réinventer la démocratie à partir du vivant », <em>Le Monde</em>, 13 août 2019. <a href="#df188da1-6581-4e6f-97a2-434501c68603-link" aria-label="Aller à la note de bas de page 8">↩︎</a></li></ol>


<p></p>


« C’est quoi la vie ?» à la lumière des sciences modernes


<figure class="wp-block-image size-large"><img data-recalc-dims="1" loading="lazy" decoding="async" width="1024" height="464" data-attachment-id="2111" data-permalink="https://changement-de-cap.fr/2023/11/01/du-sentiment-de-peur-au-desir-de-vivre/narges-mohammadi-credit-voa/" data-orig-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Narges-Mohammadi-credit-VOA.jpg?fit=1170%2C530&amp;ssl=1" data-orig-size="1170,530" data-comments-opened="1" data-image-meta="{&quot;aperture&quot;:&quot;0&quot;,&quot;credit&quot;:&quot;&quot;,&quot;camera&quot;:&quot;&quot;,&quot;caption&quot;:&quot;&quot;,&quot;created_timestamp&quot;:&quot;0&quot;,&quot;copyright&quot;:&quot;&quot;,&quot;focal_length&quot;:&quot;0&quot;,&quot;iso&quot;:&quot;0&quot;,&quot;shutter_speed&quot;:&quot;0&quot;,&quot;title&quot;:&quot;&quot;,&quot;orientation&quot;:&quot;0&quot;}" data-image-title="Narges-Mohammadi-credit-VOA" data-image-description="" data-image-caption="" data-medium-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Narges-Mohammadi-credit-VOA.jpg?fit=300%2C136&amp;ssl=1" data-large-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Narges-Mohammadi-credit-VOA.jpg?fit=1024%2C464&amp;ssl=1" src="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Narges-Mohammadi-credit-VOA.jpg?resize=1024%2C464&#038;ssl=1" alt="" class="wp-image-2111" srcset="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Narges-Mohammadi-credit-VOA.jpg?resize=1024%2C464&amp;ssl=1 1024w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Narges-Mohammadi-credit-VOA.jpg?resize=300%2C136&amp;ssl=1 300w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Narges-Mohammadi-credit-VOA.jpg?resize=768%2C348&amp;ssl=1 768w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/11/Narges-Mohammadi-credit-VOA.jpg?w=1170&amp;ssl=1 1170w" sizes="auto, (max-width: 1000px) 100vw, 1000px" /></figure>



<p>Dans l’article «&nbsp;Ranimer le désir de démocratie&nbsp;» publié dans l’Eccap<a href="#_ftn1" id="_ftnref1">[1]</a>, on rappelait que pour Spinoza, la seule force qui peut véritablement nous faire changer, c’est le désir. Le désir mobilise la totalité de notre être (corps et esprit), quand la raison et la volonté ne mobilise que notre esprit. Il ne faut pas supprimer ou diminuer le désir, mais l’orienter par la raison. Et de préciser «&nbsp;Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment plus fort que le sentiment à contrarier&nbsp;» ainsi on ne supprimera pas une haine, un chagrin ou une peur simplement en raisonnant, mais en faisant surgir un amour, une joie, un espoir.</p>



<p>Dans une lettre écrite en juin 2023 dans la prison d’Evin en Iran, et publiée par le journal Le Monde (le 08/9/2023) la courageuse combattante des droits humains Nages Mohammadi, prix Nobel de la Paix en octobre 2023, nous donne une illustration de la justesse de la pensée de Spinoza. Cette journaliste de 54 ans a été condamnée en mai 2016 à seize ans de prisons pour ses activités en faveur des droits humains. Elle a écopé d’une nouvelle peine et de 154 coups de fouet pour avoir écrit au secrétariat général de l’ONU.</p>



<p>Au début de sa lettre, Nages Mohammadi précise l’objet de son propos&nbsp;: «&nbsp;donner un visage aux êtres humains qui, partout dans le monde, font l’objet d’un enfermement, qu’ils soient cernés par des murs d’acier ou par les murs de l’oppression, mais qui, envers et contre tout, aspirent à faire tomber ces «&nbsp;murs&nbsp;»&nbsp;: ceux de l’ignorance, de l’exploitation, de la pauvreté, de la privation et de l’isolement&nbsp;».</p>



<p><strong>Coupables du désir de vivre</strong></p>



<p>Dans sa lettre, Nages Mohammadi nous rappelle que «&nbsp;le gouvernement de la République islamique nie les droits fondamentaux tels que le droit à la vie, à la liberté de penser, à la liberté d’expression et de croyance, ainsi que le droit à pratiquer la danse, la musique, et même le droit à l’amour&nbsp;». Elle interpelle notre attention&nbsp;: «&nbsp;Si vous regardez attentivement la société iranienne, vous verrez que chaque individu, à tout moment de sa vie et en tout lieu, est <strong>coupable du désir de vivre</strong>. Il encourt, pour ce crime, les pires sanctions, châtiments, humiliations, arrestations, et peut être emprisonné, voire exécuté, pour cela&nbsp;».</p>



<p>Elle nous invite à entendre en Iran <strong>«&nbsp;le bruit sourd du mur de la peur qui se fissure</strong>&nbsp;». Et de préciser «&nbsp;de part et d’autre des murs de fer d’Evin, où l’on nous a emprisonnées, nous ne sommes pas restées immobiles. En tant que femmes, parfois seules et sans soutien, souvent au milieu de flots d’accusations et des humiliations, nous avons brisé une par une nos chaînes jusqu’à ce que surgisse le mouvement révolutionnaire «&nbsp;Femme, vie, liberté&nbsp;». Nous avons alors montré notre force au monde entier. [..] Nous avons été capables de faire émerger&nbsp;le pouvoir des contestataires et la force de la contestation. Notre élan nous a hissés plus haut que les murs qui nous oppressent et nous sommes plus puissants et plus solides qu’eux. Si nos barreaux sont immobilité, silence et mort, nous sommes mouvement, écho et vitalité, et c’est là que se dessine la promesse de notre victoire&nbsp;».</p>



<p>Mme Mohammadi termine en nous demandant de relayer son message d’espoir&nbsp;: «&nbsp;dites au monde que nous ne sommes pas derrière ces murs pour rien et que nous sommes à présent plus forts que nos bourreaux qui emploient tous les moyens pour faire taire notre société&nbsp;».</p>



<p><strong>Réanimer notre désir de vivre</strong></p>



<p>Ce message de cette femme lauréate du prix Nobel de la Paix, qui se veut être la porte-parole de la société iranienne interpelle notre société française, bien que connaissant une situation économique et politique bien différentes. En effet la France, 7<sup>ème</sup> puissance économique du monde, est organisée autour des principes de la démocratie, de la reconnaissance des droits humains. Néanmoins, la société française est depuis quelques années traversée – comme la plupart des sociétés des pays industrialisés &#8211; par de nombreuses interrogations, de doutes et de peurs par rapport à son avenir. La dixième étude «&nbsp;Fractures françaises&nbsp;»<a href="#_ftn2" id="_ftnref2">[2]</a>, réalisée en 2023, par Ipsos-Sopra Steria pour <em>Le Monde</em>, la Fondation Jean-Jaurès et le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), rend compte d’une partie des peurs qui s’expriment actuellement en France.</p>



<ul class="wp-block-list">
<li>Pour 82% des français, le pays est en déclin et 34% d’entre eux pensent que ce déclin est irréversible (leur nombre progresse fortement&nbsp;:14 points depuis 2017).</li>



<li>Ayant à choisir «&nbsp;<em>les deux enjeux qui vous préoccupent le plus à titre personnel</em>&nbsp;», il ressort que la préoccupation principale des français est le pouvoir d’achat<a href="#_ftn3" id="_ftnref3">[3]</a> qui supplante toutes les autres (46&nbsp;%) et traverse tous les électorats, viennent ensuite la protection de l’environnement (30%), l’avenir du système social (24%), l’immigration (24%), la délinquance (19%), la montée des inégalités sociales (12%), la guerre en Ukraine (10%), la dette et le déficits (8%), l’avenir du système scolaire (7%), le chômage (5%).</li>



<li>L’anxiété climatique gagne du terrain, y compris à droite. Les électeurs d’Emmanuel Macron et d’Europe Ecologie-Les&nbsp;Verts (EELV), ainsi qu’un tiers de ceux du parti Les Républicains, citent la protection de l’environnement comme première préoccupation. Par contre, 61&nbsp;% des Français seulement pensent que le changement climatique est principalement dû à l’activité humaine,les autres estimant notamment que c’est un <em>«&nbsp;phénomène naturel&nbsp;»</em> (16&nbsp;%) ou que l’on <em>«&nbsp;ne peut pas savoir&nbsp;»</em> (8&nbsp;%). Un résultat plutôt positif&nbsp;: &nbsp;69% des Français se disent prêts à<em> «&nbsp;modifier en profondeur leur mode de vie&nbsp;»</em>, mais en recul de 13&nbsp;points par rapport à 2021.</li>



<li>Pour 82% des français, il faut à la France un pouvoir autoritaire, à travers <em>«&nbsp;un vrai chef pour remettre de l’ordre&nbsp;»</em>. Plus d’un tiers des Français pensent que d’autres régimes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie.</li>
</ul>



<p>Comment répondre à ce sentiment de déclin que vivent la grande majorité des français et qui s’expriment par la peur de ne plus pouvoir faire face à la montée des prix (de la nourriture, du logement, de la santé, de l’énergie,..) par la montée de l’anxiété climatique, par de fort doutes sur la démocratie comme régime politique pour organiser «&nbsp;le vivre ensemble&nbsp;».</p>



<p>Soulignons que par rapport au changement climatique une majorité de français se dit prête à <em>«&nbsp;modifier en profondeur leur mode de vie&nbsp;» même si ce pourcentage a diminué par rapport à 2021. Mais il est aussi important de rappeler que le climat n’est pas le seul évènement qui remet en cause notre mode de vie, d’autres réalités telles que la chute de la biodiversité, l’artificialisation des sols, la limite des ressources minières disponibles, nous montrent que le mode de développement économique capitaliste, mis en œuvre par les pays industrialisés occidentaux – et donc notre mode de vie – ne peut pas se généraliser à l’ensemble du monde.</em><em></em></p>



<p><em>Pour modifier en profondeur notre mode de vie et pour sortir des peurs du déclinisme plusieurs processus doivent être doivent être impulsés et organisés. Premièrement il ne suffit pas de vouloir changer, il faut aussi mieux comprendre comment la pensée néo-libérale &#8211; qui organise la sphère économique et qui est aussi très active dans les domaines du politique, de la culture, des plateformes numériques &#8211; a pour objectif de diffuser et d’imposer une manière d’être au monde bien spécifique&nbsp;: un individualisme ego centré et consumériste. Pour percevoir les murs de ce type d’enfermement, il faut avoir bien sûr avoir envie de changer et savoir que d’autres manières d’être au monde, d’autres philosophies politiques sont possibles. C’est notamment la vocation des partis politiques. </em><em></em></p>



<p><em>Mais, plus encore, pour modifier en profondeur notre mode de vie, pour sortir de nos enfermements économique, culturel, politique, pour sortir de nos peurs il nous faut réanimer le désir de vivre. Selon les sociétés, ce désir de vivre va se manifester de manières différentes, le combat de Nages Mohammadi en Iran en est un exemple fort, dans un contexte politique bien spécifique. Pour les sociétés industrielles, qui ont peur du déclin des trente glorieuses, qui doivent envisager des changements profonds de mode de vie, retrouver le désir de vivre passe par des réponses aux questionnements «&nbsp;c’est quoi la vie&nbsp;?&nbsp;»&nbsp; «&nbsp;c’est quoi vivre&nbsp;?&nbsp;». Vaste programme qui passe par l’élaboration de nouveaux récits qui donne sens et désir de vivre ensemble dans nos différentes sociétés et à l’échelle de la Planète Terre. En se rappelant que</em> le désir mobilise la totalité de notre être (corps et esprit), ces nouveaux récits doivent mobiliser notre raison mais également éveiller les capacités de notre corps à se sentir en résonnance avec les différentes manifestations de la vie sur Terre. Aujourd’hui mieux comprendre ce qu’est la vie devient un questionnement pour différents chercheurs tant en biologie, en écologie, en neuro-sciences, en éthologie, en physique qu’en sciences humaines et sociales et leurs apports sont importants pour élaborer les nouveaux récits dont nous avons besoin pour réanimer le désir de vivre ensemble. Les questionnements et les apports de quelques-uns de &nbsp;ces scientifiques de disciplines très différentes seront explicités dans d’un &nbsp;prochain article de l’eccap.<em></em></p>



<hr class="wp-block-separator has-alpha-channel-opacity"/>



<p><a href="#_ftnref1" id="_ftn1">[1]</a> Publié dans l’eccap&nbsp; le 30/09/2023</p>



<p><a href="#_ftnref2" id="_ftn2">[2]</a> Cette étude «&nbsp;Fractures françaises&nbsp;» est considérée comme étant un outil de référence en matière d’analyse de l’opinion et de ses évolutions. Cette onzième édition repose sur un échantillon national de 12 044&nbsp;personnes représentatif de la population française âgée de 18&nbsp;ans et plus, interrogées du 16&nbsp;au 20&nbsp;septembre, selon la méthode des quotas.</p>



<p><a href="#_ftnref3" id="_ftn3">[3]</a> Il faut noter que les résultats de ce type d’enquête peuvent varier avec la conjoncture économique et politique du moment.</p>


Du sentiment de peur au désir de vivre


<figure class="wp-block-image size-full is-resized"><img data-recalc-dims="1" loading="lazy" decoding="async" width="392" height="611" data-attachment-id="2068" data-permalink="https://changement-de-cap.fr/2023/09/30/ranimer-le-desir-de-democratie-resonner-et-raisonner/screenshot-2023-09-30-at-17-37-11/" data-orig-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/09/Screenshot-2023-09-30-at-17.37.11.png?fit=392%2C611&amp;ssl=1" data-orig-size="392,611" data-comments-opened="1" data-image-meta="{&quot;aperture&quot;:&quot;0&quot;,&quot;credit&quot;:&quot;&quot;,&quot;camera&quot;:&quot;&quot;,&quot;caption&quot;:&quot;&quot;,&quot;created_timestamp&quot;:&quot;0&quot;,&quot;copyright&quot;:&quot;&quot;,&quot;focal_length&quot;:&quot;0&quot;,&quot;iso&quot;:&quot;0&quot;,&quot;shutter_speed&quot;:&quot;0&quot;,&quot;title&quot;:&quot;&quot;,&quot;orientation&quot;:&quot;0&quot;}" data-image-title="Screenshot-2023-09-30-at-17.37.11" data-image-description="" data-image-caption="" data-medium-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/09/Screenshot-2023-09-30-at-17.37.11.png?fit=192%2C300&amp;ssl=1" data-large-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/09/Screenshot-2023-09-30-at-17.37.11.png?fit=392%2C611&amp;ssl=1" src="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/09/Screenshot-2023-09-30-at-17.37.11.png?resize=392%2C611&#038;ssl=1" alt="" class="wp-image-2068" style="width:379px;height:auto" srcset="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/09/Screenshot-2023-09-30-at-17.37.11.png?w=392&amp;ssl=1 392w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/09/Screenshot-2023-09-30-at-17.37.11.png?resize=192%2C300&amp;ssl=1 192w" sizes="auto, (max-width: 392px) 100vw, 392px" /></figure>



<p>Aujourd’hui nous avons l’habitude, le réflexe, d’analyser le capitalisme à partir d’une critique de l’idéologie néolibérale qui structure son expansion depuis les années 1980. Cette démarche privilégie les aspects de production&nbsp;: les nouvelles relations qui se tissent entre les entreprises et les Etats, la vision des individus comme entrepreneur de leur propre vie, la marchandisation des différents aspects de la vie et plus généralement la domination progressive de l’économique sur le politique. Nos critiques du capitalisme néolibéral masquent ce qui se passe du côté de la demande, des consommateurs, des citoyens qui sont de plus en plus sollicités et enfermés dans des imaginaires et des émotions suscités et diffusés par le développement du capitalisme.</p>



<p>Il est important de rappeler que le capitalisme n’aurait sans doute pas pu émerger et se développer sans la constitution et la diffusion en Europe d’une philosophie politique – c’est à dire d’une vision du monde et de la place de l’humain dans le monde et dans la société &#8211; bien spécifique qu’est l’individualisme. Pour Alain Laurent, auteur de <em>l’Histoire de l’individualisme </em>(1993), «&nbsp;l’individualisme représente à la fois le propre de la civilisation occidentale et l’épicentre de la modernité&nbsp;». L’individualisme en tant que philosophie politique a connu dans son histoire des controverses importantes entre un «&nbsp;individualisme atomiste&nbsp;»<a href="#_ftn1" id="_ftnref1">[1]</a> et «&nbsp;un individualisme relationnel&nbsp;» ou «&nbsp;individualisme social&nbsp;». L’individualisme atomiste, dit aussi individualisme économique, parce que promu par la création et l’expansion du capitalisme, est la forme dominante depuis près de deux siècles. L’individualisme relationnel s’intéresse à la genèse de l’individu, à partir des différents liens et relations que l’être humain est amené à tisser tout au long de sa vie au sein de son milieu de vie, et appelé processus d’individuation<a href="#_ftn2" id="_ftnref2">[2]</a>. Aujourd’hui, avec le développement des plateformes numériques et la captation organisée de l’attention<a href="#_ftn3" id="_ftnref3">[3]</a> des individus par ces plateformes, l’individualisme atomiste devient de plus en plus un individualisme égo centré et consumériste. Le livre <em>La culture du Narcissisme</em>&nbsp;du sociologue américain Christopher Lasch, qui a analysé la crise de la culture occidentale dans les années 1970, n’a jamais autant d’actualité. «&nbsp;Le Narcisse moderne terrifié par l’avenir, vit dans le culte de l’instant&nbsp;; il se soumet à l’aliénation consumériste et aux conseils infantilisants des experts en tout genre&nbsp;». D’où la question comment lutter contre l’individualisme égo centré et consumériste, promu par l’expansion du capitalisme et qui sape les fondements de la démocratie&nbsp;?</p>



<p><strong>«&nbsp;Spinoza avait raison&nbsp;»</strong></p>



<p>&nbsp;Pour répondre à ce défi, il semble opportun de se tourner vers un philosophe tel que Spinoza qui a marqué une rupture profonde avec la tradition philosophique et religieuse classique à partir de sa conception du désir et de l’affectivité. Pour Spinoza, la seule force qui peut véritablement nous faire changer, c’est le désir. Le désir mobilise la totalité de notre être (corps et esprit), quand la raison et la volonté ne mobilise que notre esprit. Il ne faut pas supprimer ou diminuer le désir, mais l’orienter par la raison. Et de préciser «&nbsp;Un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment plus fort que le sentiment à contrarier&nbsp;» ainsi on ne supprimera pas une haine, un chagrin ou une peur simplement en raisonnant, mais en faisant surgir un amour, une joie, un espoir. On ne combattra pas l’individualisme égo centré et consumériste uniquement par la raison mais en élaborant une conception de l’être humain plus pertinente que celle d’aujourd’hui, qui prenne en compte les émotions et les sentiments, comme le propose le neurobiologiste Antonio Damasio à la lumière de la pensée de Spinoza</p>



<p><strong>Prendre en compte la place et le rôle des émotions dans les comportements humains</strong></p>



<p>Dans son livre, <em>Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions<a href="#_ftn4" id="_ftnref4"><strong>[4]</strong></a>, </em>Antonio R. Damasio, nous avertit&nbsp;:«&nbsp;Comprendre ce que sont les sentiments, comment ils fonctionnent et ce qu’ils signifient, est indispensable pour édifier demain une <strong>conception de l’être humain plus pertinente</strong> que celle d’aujourd’hui&nbsp;: cette conception prendrait en compte les avancées des sciences sociales, des sciences cognitives et de la biologie. La réussite ou l’échec de l’humanité dépend dans une large mesure de la façon dont le public et les institutions en charge de gouverner la vie publique intégreront cette conception revue de l’être humain dans leurs principes et leurs politiques&nbsp;»<a href="#_ftn5" id="_ftnref5">[5]</a>.&nbsp;</p>



<p>Pour Damasio, les émotions se manifestent sur le théâtre du corps, les sentiments sur celui de l’esprit<a href="#_ftn6" id="_ftnref6">[6]</a> et les émotions précédent les sentiments&nbsp;: nous avons d’abord des émotions puis des sentiments parce que l’évolution à fait d’abord émerger les émotions puis les sentiments. «&nbsp;Elucider la neurobiologie des sentiments et leurs antécédents les émotions, apporte beaucoup à notre façon d’envisager le problème de l’âme et du corps, lequel est central pour comprendre ce que nous sommes. Etudier comment les pensées déclenchent les émotions et comment les émotions corporelles deviennent des pensées du type que nous appelons des sentiments donnent une vision privilégiée de l’esprit et du corps. Emotions et sentiments sont des manifestations en apparence disparates d’un seul et même organisme humain imbriqué&nbsp;»<a href="#_ftn7" id="_ftnref7">[7]</a></p>



<p>Par ses travaux en neurobiologie, Antonio Damasio a confirmé la loi universelle de la vie, mise en avant par Spinoza&nbsp;:«&nbsp;Chaque chose s’efforce de persévérer dans son être&nbsp;» Cet effort (conatus en latin) s’applique également à l’être humain, et comme toute chose il est soumis au «&nbsp;conatus&nbsp;». La joie est l’affect fondamental qui accompagne toute augmentation de notre puissance d’agir, comme la tristesse est l’affect fondamental qui accompagne toute diminution de notre puissance d’agir. L’objectif de l’éthique spinoziste consiste dès lors, à organiser sa vie grâce à la raisonpour diminuer la tristesse et augmenter la joie. Et Damasio de nous avertir&nbsp;: «&nbsp;Nos démocraties seront d’autant plus solides, vigoureuse et ferventes, que les individus qui les composent seront capables de dominer leurs passions tristes – la peur, la colère, le ressentiment, l’envie, etc. – et qu’ils mèneront leur existence selon la raison&nbsp;»<a href="#_ftn8" id="_ftnref8">[8]</a>. Il est frappant de constater que ce sont ces mêmes passions tristes qui ont été analysées par la sociologue Eva Illouz, pour expliquer la montée du populisme nationaliste, notamment dans l’Israël de Netanyahou<a href="#_ftn9" id="_ftnref9">[9]</a>. Ce sont ces passions tristes que les mouvements populistes s’emploient à attiser afin de mieux les instrumentaliser.</p>



<p><strong>Une nouvelle éthique&nbsp;immanente et rationnelle</strong></p>



<p>Pour le philosophe Frédérique Lenoir, Spinoza nous propose une révolution de la conscience morale. «&nbsp;La vraie morale ne consiste plus à chercher à suivre des règles extérieures, mais à comprendre les lois de la nature universelle et de notre nature singulière afin d’augmenter notre puissance d’agir et notre joie&nbsp;»<a href="#_ftn10" id="_ftnref10">[10]</a> Et de citer l’<em>Ethique</em> de Spinoza&nbsp;:&nbsp;«&nbsp;Nous appelons bon ou mauvais ce qui est utile ou nuisible à la conservation de notre être, c’est-à-dire ce qui augmente ou diminue, aide ou contrarie notre puissance d’agir. Selon que nous percevons qu’une chose nous affecte de joie ou de tristesse nous l’appelons bonne ou mauvaise ». Pour Lenoir, l’éthique immanente et rationnelle du bon et du mauvais remplace la morale transcendante et irrationnelle du bien et du mal.</p>



<p>Il nous faut &nbsp;aujourd’hui préciser ce que pourrait être cette nouvelle éthique immanente et rationnelle. Pour cela, laissons la parole à Alain Damasio écrivain de science-fiction et poète français, à ne pas confondre avec le neurobiologiste Antonio Damasio&nbsp;cité précédemment. Dans <em>«&nbsp;Les furtifs</em>&nbsp;» (2019) un de ses derniers romans, il dresse le portrait futuriste et glaçant d’une société régie par la finance, l’hyper connexion, et l’auto aliénation, et c’est d’aujourd’hui qu’il nous parle. Dans cette société, «&nbsp;<em>les furtifs</em> sont là, parmi nous, jamais où on regarde, à circuler dans les angles morts de nos quotidiens&nbsp;; ils sont des êtres de chair et de sons, aux facultés inouïes de métamorphoses, qui nous ouvrent la possibilité précieuse, à nous autres humains, de renouer avec le vivant&nbsp;».</p>



<figure class="wp-block-table"><table><tbody><tr><td><strong>Etre vivant, c’est accroître notre capacité à être affecté …</strong>   <br><br>«  Le vivant n’est pas une propriété, un bien qu’on pourrait acquérir ou protéger. C’est-à-dire ? c’est un chant qui nous traverse dans lequel nous sommes immergés, fondus, électrisés, si bien que, s’il existe <strong>une éthique</strong> en tant qu’êtres humains, c’est d’être digne de ce don sublime d’être vivant et d’en incarner, d’en déployer autant que faire se peut les puissances. Qu’est-ce qu’une puissance ? Une puissance de vie est le volume de liens, de relations qu’un être est capable de tisser et d’entrelacer, sans se porter atteinte, ou encore c’est la gamme chromatique des affects dont nous sommes capables ; vivre revient alors à accroître notre capacité à être affectés ou notre amplitude à être touchés, changés, émus. Contracter une sensation, contempler, habiter un instant ou un lieu, ce sont des liens élus. A l’inverse, faire face à des stimulus et y répondre sans cesse pollue nos disponibilités. L’économie de l’attention ne nous affecte pas, elle nous infecte, elle encrasse ces filtres subtiles sans lesquels il n’est pas de discriminations saines entre les liens qui libèrent et ceux qui aliènent. Nos puissances de vivre relèvent d’un art du lien qui est déjà en soi une politique : celle de l’hospitalité au neuf qui surgit, si bien qu’il devient crucial d’aller à la rencontre, à la rencontre aussi bien d’un enfant, d’un groupe, d’une femme, que de choses plus étranges comme rencontrer une musique qui te touche, un livre intranquille, un chat qui ne s’apprivoise pas, une falaise, rencontrer une lumière, la mer, un jeu vidéo, une heure de la journée, la neige; faire terreau pour que les liens vivent, liens amicaux ou amoureux, collectifs ou communautaires bien sûr, et au-delà, et avec plus d’attention encore, les liens avec le dehors, le « pas de chez soi », « l’autre soi »,  avec l’étranger, d’où qu’il vienne, et plus encore, hors de l’humain qui nous rassure, les liens avec la forêt, le maquis, la terre, avec le végétal comme l’animal, les autres espèces, les autres  formes de vie,  se composer avec, les accepter, nouer avec elles, s’emberlificoter. C’est un alliage et c’est une alliance »<a id="_ftnref11" href="#_ftn11">[11]</a>.</td></tr></tbody></table></figure>



<p>Ce texte sur l’éthique selon Alain Damasio fait écho au concept de résonance proposé par le sociologue allemand Hartmut Rosa notamment dans son livre «&nbsp;<em>Résonance, une sociologie de la relation au monde</em>&nbsp;» (2018). Faisant le constat que les sociétés modernes ne peuvent se perpétuer qu’en accélérant les mouvements qui les caractérisent, notamment l’innovation et la croissance, le sociologue nous propose, pour faire face à l’accélération de nos vies, &nbsp;de changer notre relation au monde et de «&nbsp;laisser vibrer le monde en nous&nbsp;». <em>« La résonance, c’est être relié avec le monde, les autres et soi-même</em> […]<em> être affecté par un fragment du monde que vous rencontrez – une musique, un paysage, une personne ; […]</em><em> C’est une des expériences palpitantes qui donne le sentiment d’être vivant »</em><a href="#_ftn12" id="_ftnref12">[12]</a>. Pour Hartmut Rosa «&nbsp;La démocratie a besoin de résonance pour fonctionner. Mais la politique se fait sur le mode de l’agressivité, rendant les institutions actuelles opposées à la démocratie et s’inscrivant dans la logique de mise en disponibilité du monde&nbsp;»<a href="#_ftn13" id="_ftnref13">[13]</a>.</p>



<p>La démocratie a besoin de programmes politiques qui sont du domaine de la raison, mais la démocratie a d’abord besoin, actuellement, de nouveaux récits, de nouvelles institutions et organisations, qui renforcent nos désirs de vivre ensemble avec les autres humains et avec l’ensemble du monde vivant, en d’autres termes, qui fassent vibrer les puissances de vie qui sont en chacun des êtres humains. On oppose trop souvent résonance et raison&nbsp;; mais pour ranimer le désir de démocratie dans nos sociétés capitalistes &#8211; qui visent en priorité à promouvoir le comportement d’un individualisme égo centré et consumériste &#8211; il nous faut développer en chacun d’entre nous nos capacités de résonner (d’être en résonance avec les différentes formes de vie) et de raisonner.</p>



<hr class="wp-block-separator has-alpha-channel-opacity"/>



<p><a href="#_ftnref1" id="_ftn1">[1]</a> Pour ce courant de pensée, l’individu comme l’atome est une unité déjà faite, il est l’atome à partir duquel se construit le social, l’individu précède la société.</p>



<p><a href="#_ftnref2" id="_ftn2">[2]</a> Pour plus de détails voir mon article dans l’eccap&nbsp;: <a href="https://www.eccap.fr/article/individualisme-et-individuation">https://www.eccap.fr/article/individualisme-et-individuation</a></p>



<p><a href="#_ftnref3" id="_ftn3">[3]</a> &nbsp;&nbsp;<a href="https://www.eccap.fr/article/economie-numerique-de-lattention-et-manipulation">https://www.eccap.fr/article/economie-numerique-de-lattention-et-manipulation</a></p>



<p><a href="#_ftnref4" id="_ftn4">[4]</a> Antonio Damasio, <em>Spinoza avait raison. Joie et tristesse, le cerveau des émotions, </em>Odile Jacob 2003</p>



<p><a href="#_ftnref5" id="_ftn5">[5]</a> op. cit. p.14</p>



<p><a href="#_ftnref6" id="_ftn6">[6]</a> Dans son concept d’affects, Spinoza inclut les émotions et les sentiments, pour lui l’esprit et le corps sont une seule et même chose</p>



<p><a href="#_ftnref7" id="_ftn7">[7]</a> Op. cit. p&nbsp;.14</p>



<p><a href="#_ftnref8" id="_ftn8">[8]</a> Frédérique Lenoir, <em>Le Miracle Spinoza</em>, Editions Fayard, 2017, p.110</p>



<p><a href="#_ftnref9" id="_ftn9">[9]</a> Eva Illouz, <em>Les émotions contre la démocratie</em>, Editions Premier Parallèle,2022</p>



<p><a href="#_ftnref10" id="_ftn10">[10]</a> <em>Op.cit,</em> p.176</p>



<p><a href="#_ftnref11" id="_ftn11">[11]</a> <em>Texte inédit d’Alain Damasio lu par lui-même, à la fin de l’émission Boomerang d’Augustin Trapenard sur France Inter le lundi 13 Mai 2019. (Texte transcrit par Michèle Perrin).</em></p>



<p><a href="#_ftnref12" id="_ftn12">[12]</a> Hartmut Rosa&nbsp;: “Pour résonner, il faut admettre que les choses nous échappent”&nbsp;», propos recueillis par Martin Legros, <em>Philo Magazine</em>, 14janvier 2020</p>



<p><a href="#_ftnref13" id="_ftn13">[13]</a> Hartmut Rosa&nbsp;; «&nbsp;l’accélération conduit à un état d’agressivité, particulièrement sensible chez les individus des société occidentales&nbsp;» Propos recueillis par Youness Boussenna, <em>Le Monde</em>, 10 septembre 2023</p>


Ranimer le désir de démocratie. Résonner et raisonner


<figure class="wp-block-image size-large is-resized"><img data-recalc-dims="1" loading="lazy" decoding="async" data-attachment-id="1845" data-permalink="https://changement-de-cap.fr/2023/04/02/lanthropo-technocene/perrin/" data-orig-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?fit=1060%2C1734&amp;ssl=1" data-orig-size="1060,1734" data-comments-opened="1" data-image-meta="{&quot;aperture&quot;:&quot;0&quot;,&quot;credit&quot;:&quot;&quot;,&quot;camera&quot;:&quot;&quot;,&quot;caption&quot;:&quot;&quot;,&quot;created_timestamp&quot;:&quot;0&quot;,&quot;copyright&quot;:&quot;&quot;,&quot;focal_length&quot;:&quot;0&quot;,&quot;iso&quot;:&quot;0&quot;,&quot;shutter_speed&quot;:&quot;0&quot;,&quot;title&quot;:&quot;&quot;,&quot;orientation&quot;:&quot;0&quot;}" data-image-title="perrin" data-image-description="" data-image-caption="" data-medium-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?fit=183%2C300&amp;ssl=1" data-large-file="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?fit=626%2C1024&amp;ssl=1" src="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?resize=344%2C562&#038;ssl=1" alt="" class="wp-image-1845" width="344" height="562" srcset="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?resize=626%2C1024&amp;ssl=1 626w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?resize=183%2C300&amp;ssl=1 183w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?resize=768%2C1256&amp;ssl=1 768w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?resize=939%2C1536&amp;ssl=1 939w, https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2023/04/perrin.png?w=1060&amp;ssl=1 1060w" sizes="auto, (max-width: 344px) 100vw, 344px" /></figure>



<p>Le terme Anthropocène &#8211; théorisé et popularisé au début des années 2000 par le prix Nobel de chimie néerlandais Paul Crutzen &#8211; a été proposé pour désigner l&rsquo;époque dans laquelle l&rsquo;action des hommes a commencé à provoquer des changements biogéophysiques à l&rsquo;échelle planétaire. Le début de l&rsquo;anthropocène correspondrait à la révolution industrielle du XIXe siècle. Les différents problèmes et enjeux auxquels les humains de la planète Terre doivent désormais faire face&nbsp;: changements climatiques, perte de biodiversité, accélération de l’érosion et de l’artificialisation des sols, la croissance démographiques, les montées des inégalités sont trop souvent présentés d’une manière séparée. C’est le mérite des cartographies l’<em>Atlas de l’Anthropocène </em>publié, par les Presses de Sciences Po, de montrer les co-évolutions des phénomènes, et des boucles d’interaction.</p>



<p>Pour les auteurs de l’<em>Atlas de l’Anthropocène, </em>cette nouvelle ère géologique pose un défi considérable à la philosophie politique et aux théories politiques dominantes qui tendent «&nbsp;à considérer le monde humain comme une entité distincte de la Terre&nbsp;; l’un régi par les lois des sciences sociales, l’autre par celles des sciences naturelles&nbsp;». L’anthropocène nous dit que cette distinction n’est plus valide. Il nous faut donc «&nbsp;inventer de nouveaux paradigmes si nous voulons comprendre l’état actuel du monde&nbsp;: littéralement, il nous faut concevoir une géo-politique, où la Terre soit pensée comme un sujet de politiques et non plus comme un objet – ou comme la simple toile de fond des affaires humaines&nbsp;»<a href="#sdfootnote1sym" id="sdfootnote1anc"><sup>1</sup></a>.</p>



<p>Pour mieux appréhender les multiples changements que les humains ont provoqués sur la Terre et sur eux-mêmes, le philosophe camerounais Achille Mbembe nous invite, dans son livre «&nbsp;<em>La communauté terrestre</em>&nbsp;»<a href="#sdfootnote2sym" id="sdfootnote2anc"><sup>2</sup></a>, à appréhender la Terre dans son unité comme un corps organique, mais aussi social et politique qui accueille la vie, toutes les vies, humaines et autres qu’humaines. A partir de ses réflexions sur le concept d’<em>anthropo-technocène</em>, son principal apport est de nous aider, à comprendre comment la biosphère et la technosphère sont désormais inséparables. Et «&nbsp;pour rendre compte de cette inséparabilité, nous avons besoin d’une conception élargie de la vie, de la communauté et du soin qui intégrerait non seulement les évènements typiquement écologiques, mais aussi les phénomènes technologiques. Cela suppose que soient réconciliés deux grandes familles de pensée, celle de la critique écologique et celle de la critique de la technologie et des objets&nbsp;»<a href="#sdfootnote3sym" id="sdfootnote3anc"><sup>3</sup></a>.</p>



<p>L’une des caractéristiques majeures de l’ère <em>anthropo-technocène</em> est la proximité radicale entre les êtres, les personnes et les objets. Pour nous faire découvrir cette proximité Achille Mbembe s’inspire des travaux de l’ethnologue et historien Leroi-Gourhan, du philosophe des techniques Gilbert Simondon mais aussi, et surtout, il a recours&nbsp;aux pensées animistes africaines qui servent de soubassement à son approche du vivant.</p>



<p>Pour Achille Mbembe, «&nbsp;prendre l’Afrique comme point de départ d’une enquête concernant les devenirs de la Terre et de la technique présente de nombreux avantages. L’Afrique est en effet l’une des régions du monde où auront émergé une théorie du vivant, une théorie de la parole et une théorie de l’ontogénèse dont nous n’avons pas assez exploité les potentialités&nbsp;»<a href="#sdfootnote4sym" id="sdfootnote4anc"><sup>4</sup></a>.</p>



<p>Dans les savoirs ancestraux africains, «&nbsp;l’humanité ne se pense pas en propriétaire et maîtresse régnant sur la Terre. Il n’existe pas de hiérarchie entre les différentes formes de vie puisque toute forme de vie, ainsi que le montre en particulier les contes, est supposée être dépositaire d’une intelligence spécifique&nbsp;». Dans le pensée africaine, l’histoire ne se déroule pas sur un mode linéaire allant du plus simple au plus complexe. «&nbsp;Ce qui compte le plus ce sont les réseaux de relations que tissent les actants ; l’association des réseaux se fait selon des codes destinés à produire vibration et résonance&nbsp;». Et plus fondamentalement, «&nbsp;les grands ressorts de la vie sont insondables et incalculables et inappropriables&nbsp;; et il y a une part de mystère dans le vivant&nbsp;»<a href="#sdfootnote5sym" id="sdfootnote5anc"><sup>5</sup></a>. Au cœur de cette «&nbsp;<em>écologie générale&nbsp;</em>» où l’humain entre en communauté avec l’ensemble du vivant, «&nbsp;les deux activités, à savoir le façonnage des artefacts et la production des symboles et des images ont toujours procédé d’une seule et même chair, la chair du langage. Images et symboles d’un côté, outils et instruments de l’autre ont en commun d’être des ustensiles de la vie&nbsp;»<a href="#sdfootnote6sym" id="sdfootnote6anc"><sup>6</sup></a>.</p>



<p>Animé de la pensée africaine, l’auteur de la <em>Communauté Terrestre</em> nous invite à penser&nbsp;le technologique «&nbsp;non seulement comme une assemblée d’objets, outils, machines et instruments, mais aussi comme une institution et un imaginaire qui s’étendent jusque dans les périphéries les plus invisibles du monde&nbsp;»<a href="#sdfootnote7sym" id="sdfootnote7anc"><sup>7</sup></a>. Et de préciser&nbsp;: «&nbsp;En l’objet technique l’humain délègue une part de son humanité. Investi d’une part de l’humanité de l’humain, l’objet se transforme en un être à part entière&nbsp;; il est désormais investi d’intention, il est animé. Bien que l’humain lui ait prêté une part de sa propre individualité d’être vivant, l’objet n’acquiert pas moins une existence autonome&nbsp;»<a href="#sdfootnote8sym" id="sdfootnote8anc"><sup>8</sup></a>. Si par l’innovation technologique les objets techniques se transforment en êtres à part entière, l’innovation a aussi un potentiel de transformation des humains en autre chose que ce qu’ils étaient auparavant.</p>



<p>Désormais la technosphère est devenue une dimension structurante de la biosphère. «&nbsp;Si, hier, une grande partie de la rencontre de l’humain et de la matière s’est jouée autour de la main, du feu et de sa domestication, aujourd’hui, le projet de libération vis-à- vis du milieu naturel se joue autour du computationnel&nbsp;». Aujourd’hui la logique informatique et algorithmique conditionne la manière dont nous percevons le monde. Le computationnel<a href="#sdfootnote9sym" id="sdfootnote9anc"><sup>9</sup></a> ou l’explosion du numérique «&nbsp;est en passe de devenir notre nouvel appareil physiologique, la pièce maitresse du nouvel assemblage général que sont la Terre et le vivant&nbsp;»<a href="#sdfootnote10sym" id="sdfootnote10anc"><sup>10</sup></a>. Comme il n’existe pas d’un côté un monde de symboles et du langage et, de l’autre un monde des activités techniques, l’humain d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir par exemple avec celui de la préhistoire ou de l’âge des Lumières&nbsp;; notamment la faculté de symbolisation n’est plus la propriété exclusive du cerveau humain.</p>



<p>Et Mbembe de nous avertir que dans l’ère de l’<em>anthropo-technosphère </em>« nous sommes à un moment du dédoublement aussi bien des humains que des objets, voire des mondes. Aux cerveaux naturels sont en train de se superposer des cerveaux de plus en plus artificiels, une mémoire individuelle et sociale de plus en plus extériorisée.»<a id="sdfootnote11anc" href="#sdfootnote11sym"><sup>11</sup></a> A travers ces doubles, c’est le « fantôme d’un langage pur » qui plane sur la Terre, une langue adossée au principe de la raison, de la pensée calculante, transformée en pure information entrainant l’éradication de la parole et du sens<a id="sdfootnote12anc" href="#sdfootnote12sym"><sup>12</sup></a>.</p>



<p>Pour réaliser l’utopie de «&nbsp;<em>la communauté terrestre</em>&nbsp;» à la l’époque de l’<em>anthropo-technocène</em>, Mbembe nous avertit qu’il nous faudra surmonter deux paradoxes&nbsp;:</p>



<ol class="wp-block-list">
<li>« La technologie en tant qu’expression des forces du devenir est de plus en plus coupée de l’interrogation politique concernant le sens du devenir (..). Portée en particulier par la quête du profit, la raison instrumentale s’est émancipée de tout jugement&nbsp;»<a href="#sdfootnote13sym" id="sdfootnote13anc"><sup>13</sup></a>. Le technologique devra donc, avec l’écologique, devenir le terrain privilégié des nouvelles luttes politiques</li>



<li>«&nbsp;La technologie tend désormais à absorber toute seule les attributs de la pensée religieuse, de la raison magique ou animiste et de l’activité esthétique&nbsp;». Habiter le monde, s’est transformé en «&nbsp;s’investir de manière ininterrompue dans la matière, les formes et les objets (..) L’humain contemporain vit dans une relative connaturalité avec la technologie&nbsp;». Et l’insatiable besoin de fables et de mythes a été pris en charge non plus par la parole mais par la technologie. «&nbsp;L’histoire de la parole se clôt peut-être sous nos yeux, voilà l’évènement historial par excellence&nbsp;». Voilà ce que risque de devenir l’anthropo-technocène.</li>
</ol>



<p>*Jacques Perrin est Directeur de recherche Honoraire du CNRS en sciences économiques.</p>



<p><a href="#sdfootnote1anc" id="sdfootnote1sym">1</a> François Gemenne, Aleksandar Rankovic, <em>Atlas de l’anthropocène</em>, Presses de Sciences Po, 2021, p.11</p>



<p><a href="#sdfootnote2anc" id="sdfootnote2sym">2</a> Achille Mbembe,<em> La communauté terrestre</em>, La Découverte, 2023</p>



<p><a href="#sdfootnote3anc" id="sdfootnote3sym">3</a> Achille Mbembe, «&nbsp;Réinventer la démocratie à partir du vivant&nbsp;», propos recueillis par Séverine Kodjo-Granvaux, <em>Le Monde</em>, 05 mars 2023</p>



<p><a href="#sdfootnote4anc" id="sdfootnote4sym">4</a> Achille Mbembe,<em> op. cit</em>., p.39</p>



<p><a href="#sdfootnote5anc" id="sdfootnote5sym">5</a> Cette vision du monde vivant est étonnement proche de celle proposée par le biologiste Marc-André Selosse dans son ouvrage «&nbsp;<em>Jamais seul, ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations</em>&nbsp;» Actes Sud, 2017</p>



<p><a href="#sdfootnote6anc" id="sdfootnote6sym">6</a> Achille Mbembe,<em> op. cit</em>., p.43</p>



<p><a href="#sdfootnote7anc" id="sdfootnote7sym">7</a> Achille Mbembe,, <em>op. cit</em>., p.31</p>



<p><a href="#sdfootnote8anc" id="sdfootnote8sym">8</a> Achille Mbembe,<em> op. cit</em>., p.32</p>



<p><a href="#sdfootnote9anc" id="sdfootnote9sym">9</a> «&nbsp;Ce terme sert généralement à désigner un système technique dont la fonction consiste à capturer, extraire et traiter de manière automatique un ensemble de données qui doivent être identifiées, sélectionnées, triées, classées, recombinées, codées et activées. Pour fonctionner, il nécessite des emprises spatiales toujours plus plus vastes, toujours plus d’électricité, de nouveaux câblages sous-marins, de fibres optiques, des centres de données&nbsp;» Achille Mbembe, <em>op. cit</em>. p.130</p>



<p><a href="#sdfootnote10anc" id="sdfootnote10sym">10</a> Achille Mbembe<em>, op. cit</em>.p.73</p>



<p><a href="#sdfootnote11anc" id="sdfootnote11sym">11</a> Achille Mbembe,, <em>Le Monde</em>, 05 mars 2023</p>



<p><a href="#sdfootnote12anc" id="sdfootnote12sym">12</a> Achille Mbembe,<em> op. cit</em>., p.37</p>



<p><a href="#sdfootnote13anc" id="sdfootnote13sym">13</a> Achille Mbembe,<em> op. cit</em>., p.33</p>


L’anthropo-technocène


<p></p>



<p>Plusieurs ouvrages<a href="#_ftn1" id="_ftnref1">[1]</a> ont tenté de rendre compte des enjeux de l’économie de l’attention telle qu’elle est organisée actuellement par quelques entreprises numériques principalement américaines, les GAFAM. Dans le présent article on a fait le choix de présenter les principales conclusions<a href="#_ftn2" id="_ftnref2">[2]</a> d’un travail collectif réalisé dans le cadre du Conseil National du Numérique (CNN) et qui a donné lieu au rapport <em>«&nbsp;Votre attention, s’il vous plait&nbsp;! Quels leviers face à l’économie de l’attention&nbsp;?&nbsp;»</em> (Janvier 2022). Ce document est malheureusement peu connu.</p>



<p><strong>Les enjeux de l’économie de l’attention</strong></p>



<p>Le premier mérite du rapport du CNN est, dans son introduction, de présenter d’une manière claire les différents enjeux et les différents dangers de l’économie de l’attention en rappelant&nbsp; les deux dimensions de la notion d’attention&nbsp;: «une <strong>dimension psychique ou mentale</strong> tout d’abord (l’attention qu’on l’oppose à la distraction) et une <strong>dimension sociale</strong> ensuite (l’attention à l’autre ou à son environnement, telle qu’on l’associe au soin et qu’on l’oppose à la négligence &#8211; on peut alors parler d’attention conjointe, pour désigner cette dimension relationnelle de l’attention&nbsp;». Cette dimension sociale de l’attention est souvent oubliée ou minimisée.</p>



<figure class="wp-block-table"><table><tbody><tr><td><strong>Le triple enjeu de l’économie numérique de l’attention :</strong> <strong>nos capacités psychiques, nos relations sociales, nos relations à l’environnement</strong> <strong> </strong> « Dès lors, poser la question de l’attention dans le contexte actuel revient à<br>s’interroger sur un triple enjeu : qu’en est-il, dans les sociétés de plus en plus soumises<br>à des dispositifs numériques au service d’une « économie de l’attention », de nos<br>capacités psychiques, de nos relations sociales, et plus généralement, de nos relations<br>à l’environnement ? Autrement dit, quelles sont les conséquences de l’économie<br>numérique de l’attention pour l’«écologie», au sens très large que lui accordait Félix<br>Guattari<a id="_ftnref3" href="#_ftn3">[3]</a>, à savoir l’écologie mentale, l’écologie sociale et l’écologie environnementale ? En effet, pour le philosophe français, « les perturbations écologiques de l’environnement ne sont que la partie visible d’un mal plus profond et plus considérable, relatif <strong>aux façons de vivre et d’être en société</strong> sur cette planète ».  </td></tr></tbody></table></figure>



<p><strong>L’économie numérique de l’attention : quels modèles économiques ?</strong></p>



<p><br>Les GAFAM et autres géants du numérique ont fait de la captation de l’attention un modèle économique. «&nbsp;De fait, ce n’est pas celui qui est attentif qui détient le pouvoir, mais celui qui capte l’attention&nbsp;» à partir principalement de plateformes numériques. Le terme de<strong> plateforme</strong> désigne « un service occupant une fonction d’intermédiaire dans l’accès aux informations, contenus, services ou bien édités ou fournis par des tiers&nbsp;» Ainsi, une plateforme est un marché bi-voire multiface qui met en relation différents groupes d’utilisateurs, permettant ainsi à l’offre et à la demande d’un bien ou d’un service de se rencontrer. «&nbsp;Face à la masse exponentielle de contenus proposés sur les plateformes, celles-ci ont également acquis un rôle d’ordonnancement : elles influencent voire déterminent la façon dont le contenu est hiérarchisé et présenté aux utilisateurs par le biais d’outils algorithmiques<a href="#_ftn4" id="_ftnref4">[4]</a>. Ces algorithmes sont nourris par les données collectées auprès des différents groupes d’utilisateurs.&nbsp;»</p>



<p><br>Les plateformes tirent leur valeur économique d’<strong>effets de réseau</strong>, c’est-à-dire que leur utilité croît avec le nombre des utilisateurs (exemple du réseau téléphonique).&nbsp;Ces effets de réseau ont pour conséquence la concentration des marchés dans lesquels les entreprises du numérique s’implantent, ainsi <strong>«&nbsp;un petit nombre de très grandes entreprises contrôle une énorme partie de l’attention mondiale et la convertit en profit&nbsp;»</strong>.</p>



<p>Le principal modèle économique des plateformes numériques est basé sur <strong>la publicité</strong>&nbsp;: le contenu est fourni à l’utilisateur sans contrepartie monétaire, grâce au financement d’espaces publicitaires par des annonceurs. «&nbsp;Loin d’être nouveau, ce modèle d’affaires était déjà utilisé par de nombreux médias, comme la presse écrite ou la télévision. Par rapport aux journaux, radios ou chaînes de télévision, les plateformes numériques ont la capacité de personnaliser les publicités affichées en fonction des données collectées sur la base des traces laissées par les consommateurs. On parle de « <strong>publicité ciblée</strong> ». Ce modèle économique en proposant un service gratuit facilite l’acquisition d’une masse critique d’utilisateurs déclenchant les effets de réseau. Le rapport du CNN donne une évaluation de ce que cette captation de l’attention peut représenter en termes de revenus pour les plateformes fonctionnant sur le modèle publicitaire. «&nbsp;Si l’on prend le réseau social Facebook, au deuxième trimestre 2018, le revenu moyen par utilisateur était d’environ 6 dollars au niveau mondial et, plus précisément, de 8,76 dollars en Europe&nbsp;».</p>



<p>Dans le modèle économique dit « Freemium » : la plateforme laisse le choix à l’utilisateur soit de consommer le service gratuitement, ce qui l’expose en contrepartie à des publicités, soit de payer afin d’avoir accès à un service sans publicité. «&nbsp;En Europe, la mise en application du règlement sur la protection des données à caractère personnel (RGPD) a entraîné une augmentation des offres hybrides. «&nbsp;On voit ainsi se multiplier les bandeaux nous proposant soit d’accepter les cookies tels quels, soit de s’abonner au site ou de payer pour accéder au contenu. Certaines plateformes ont d’ailleurs fait le choix de ne reposer que sur un modèle payant, sous la forme d’abonnements hebdomadaires, mensuels ou annuels&nbsp;».</p>



<p>Le rapport du CNN souligne que «&nbsp;les jeux vidéo &#8211; bien que ne pouvant le plus souvent pas être considérés comme des « plateformes numériques » au sens économique du terme &#8211; jouent un rôle majeur dans l’économie numérique de l’attention. En effet, certains jeux vidéo sont proposés gratuitement, notamment sur les magasins d’applications de smartphones. Dans ce cas-ci, leur modèle économique repose sur une abondante publicité&nbsp;».&nbsp;</p>



<p><strong>La «&nbsp;Captologie&nbsp;»&nbsp;: La science des technologies persuasives</strong></p>



<p>L’objectif des plateformes est de maximiser le nombre de leurs utilisateurs et, plus<br>encore, l’engagement de ces derniers, c’est-à-dire qu’ils soient les plus actifs possibles.: « Tout l’enjeu de cette lutte pour capter le temps de cerveau disponible consiste à réduire à l’extrême les hésitations et les arbitrages conscients, pour créer une forme de naturalité qui ne pose pas de problème, qui semblera très économique sur le plan cognitif ». «&nbsp;Afin d’atteindre ces objectifs, les plateformes ont mis en place de nombreux dispositifs qui exploitent les mécanismes cognitifs et cérébraux les plus primaires ainsi que nos émotions « comme le montre la websérie « Dopamine » (Arte, 2019)&nbsp;».</p>



<p>Des technologies spécifiques ont été conçues (par exemple le «design digital comportemental») et «&nbsp;elles&nbsp; sont regroupées sous le terme de « captologie » ou science des technologies persuasives&nbsp;» c’est-à-dire «&nbsp; l’étude de l’informatique et des technologies numériques comme outil d’influence ou de persuasion des individus&nbsp;». Cette discipline est notamment enseignée «&nbsp;au Behavior Design Lab de l’université de Stanford, autrefois baptisé Persuasive Lab, où ont étudié de nombreux concepteurs de services numériques et qu’ils ont ensuite mise à profit pour créer des interfaces exploitant nos biais cognitifs, maximiser notre engagement en ligne et nous inciter à y revenir le plus vite et le plus rapidement possible&nbsp;».</p>



<p><strong>«&nbsp;La captologie&nbsp;»&nbsp;: exploiter les biais cognitifs humains</strong></p>



<p>Pour stimuler la compulsion à consulter nos écrans, plusieurs mécanismes psychocognitifs sont mobilisés qui répondent à différents besoins de l’être humain. «&nbsp;En premier lieu : <strong>le besoin de popularité</strong> défini comme le « besoin d’être aimé et reconnu par le plus grand nombre de personnes »&nbsp; et <strong>le besoin de</strong> <strong>reconnaissance sociale,</strong> par le biais de likes, commentaires, messages, etc.&nbsp;».</p>



<p>«&nbsp;Les plateformes jouent aussi sur le principe de <strong>« l’apprentissage par conditionnement opérant »</strong> qui consiste à créer artificiellement des habitudes comportementales en misant sur différents types de récompenses. Premièrement, on trouve les « récompenses de soi », à savoir le besoin de se sentir unique, de posséder des compétences remarquables, etc. Deuxièmement, les « récompenses de chasse » visent à satisfaire le désir de conquête ou de victoire, comme c’est notamment le cas dans les jeux vidéo, au travers de différents trophées ou médailles. Enfin, les « récompenses de la tribu » satisfont le désir d’appartenance sociale et de popularité, au sein d’un groupe. (..) recevoir un like est reçu par le cerveau comme une récompense et génère la sécrétion de dopamine dans le cerveau, hormone du plaisir, de la motivation et de l’addiction. Le like crée une boucle de rétroaction de validation sociale : on est validé par le groupe et on se sent obligé en retour de liker le contenu des autres. Cela crée une boucle sans fin.</p>



<p>Le like s’est diversifié en différents types de réactions, permettant à la plateforme de jouer sur nos émotions. Il existe six émotions universelles : la joie, la surprise, la tristesse, la colère, le dégoût et la peur. Autant d’émotions que l’on retrouve dans les boutons proposés par Facebook et symbolisés par des emojis simplistes.&nbsp; Pour Facebook, ce dispositif est aussi un moyen de collecter des données encore plus précises, qui lui demeuraient jusque-là inaccessibles : les émotions. Ces données permettent d’optimiser le ciblage comportemental et d’ajuster encore plus le fil d’actualité de chaque utilisation pour susciter la bonne émotion et accroître le temps passé sur le réseau social&nbsp;».</p>



<p>«&nbsp;Les plateformes empruntent certaines de leurs stratégies à l’univers du jeu. On<br>parle de « gamification » pour désigner l’utilisation des mécanismes du jeu dans<br>d’autres domaines, en particulier des situations d’apprentissage, de travail, de la vie<br>quotidienne : l’utilisation de dispositifs « gamifiés » par les applications ou les objets<br>connectés permet d’augmenter leur acceptabilité et leur usage en s’appuyant sur la<br>prédisposition humaine au jeu.&nbsp; À travers la « gamification », le jeu se voit néanmoins souvent réduit à un ensemble de « mécaniques pavloviennes » visant à stimuler les réflexes des utilisateurs, mais dépourvues de toute signification, La gamification nous promet, en guise de monde plus fun, un univers de traces, de points, de récompenses numériques et de progression sur le modèle des jeux en ligne&nbsp;».</p>



<p><strong>Économie de l’attention ou économie de la manipulation ?</strong></p>



<p>Le rapport du CNN propose de définir l’économie de l’attention mise en œuvre par les GAFAM comme : « un ensemble de dispositifs mis en œuvre afin d’extraire une valeur marchande à partir de la captation de l’attention des utilisateurs&nbsp;».</p>



<p><br>Certains chercheurs pensent que ce terme d’économie de l’attention, en donnant l’impression de parler d’une réalité unifiée, serait source de confusion. Pour les auteurs du rapport du CNN, le terme d’« économie de la manipulation » serait sans doute plus approprié.&nbsp; «&nbsp;Les plateformes ont acquis une telle finesse dans le profilage des utilisateurs qu’il leur est quasiment possible d’anticiper leurs intérêts, leurs conduites, leurs envies, et de les manipuler&nbsp;». « L’enjeu de la captation de notre attention n’est pas qu’un enjeu de temps passé devant un écran, mais aussi et surtout un enjeu de sensibilisation au fonctionnement et à la motivation des acteurs qui cherchent à accaparer cette ressource par le biais du numérique&nbsp;».</p>



<p>Et de conclure «&nbsp;quel que soit le terme que nous choisissons pour aborder la problématique de l’économie de l’attention, l’enjeu consiste à comprendre les modèles économiques et les infrastructures technologiques visant à capter l’attention des individus, afin d’envisager leurs <strong>effets en termes d’écologie mentale, d’écologie sociale et d’écologie environnementale</strong>&nbsp;»<a href="#_ftn5" id="_ftnref5">[5]</a>.</p>



<p>Jacques Perrin, ancien directeur de recherche au C.N.R.S.</p>



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<p><a href="#_ftnref1" id="_ftn1">[1]</a> Parmi ces ouvrages notons celui coordonné par Yves Citton, <em>L’économie de l’attention</em>, Editions La Découverte,2014</p>



<p><a href="#_ftnref2" id="_ftn2">[2]</a> Le présent article fait la synthèse que de la première partie du rapport du CNN.</p>



<p><a href="#_ftnref3" id="_ftn3">[3]</a> Félix Guattari, <em>Les trois écologies</em>, Paris, Galilée, 1989</p>



<p><a href="#_ftnref4" id="_ftn4">[4]</a> Un algorithme est la description d&rsquo;une suite d&rsquo;étapes permettant d&rsquo;obtenir un résultat à partir d&rsquo;éléments fournis en entrée (une recette de cuisine, par exemple). «&nbsp;Le PageRank est sans aucun doute l&rsquo;algorithme numérique le plus utilisé dans le monde. Il est le fondement du classement des pages sur le moteur de recherche de Google&nbsp;».</p>



<p><a href="#_ftnref5" id="_ftn5">[5]</a> Ces effets sont développés dans la partie II (Pourquoi l’économie numérique de l’attention et les technologies persuasives peuvent s’avérer néfastes pour le vivant&nbsp;?) et la partie III (Comment mettre le numérique au service d’une attention psychique, sociale et environnementale) du rapport du CNN</p>


Economie numérique de l’attention et manipulation

<div><strong>Souveraineté et démocratie à l’épreuve de l’Europe</strong></div>
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<div>La construction européenne n’a pas été un des thèmes les plus abordés lors de la présentation des programmes politiques proposés par les différents candidats aux dernières élections présidentielles. Et pourtant les mots de souveraineté et de démocratie ont souvent été évoqués ou abordés dans les débats et souvent d’une manière péremptoire sans que les enjeux soient clairement explicités par rapport aux défis (politiques, économiques, écologiques, culturels) que la France a à relever. Dans son livre <em>« No Demos ? »</em>, Céline Spector, philosophe politique, nous propose de revisiter, de renouveler nos conceptions de la souveraineté et de la démocratie à l’épreuve de l’Union Européenne. En s’appuyant sur l’exemple historique de la formation de la fédération des Etats Américains, de&nbsp; <em>L’Esprit des lois</em> de Montesquieu, et de la conception du peuple selon le philosophe Habermas, ce livre fait le pari qu’une République fédéraliste européenne est possible.&nbsp;</div>
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<div>L’auteure nous rappelle que l’idée de souveraineté a été d’abord une réponse à la barbarie des guerres de religions et que cette idée s’est imposée plus généralement dans une volonté d’apaisement des conflits intérieurs (entre les seigneurs féodaux) et de protection des pouvoirs extérieurs (Papautés, Empire romain germanique, ..). La souveraineté a été au départ celle des monarques, des royautés pour affirmer leur autonomie de décision (faire la guerre, la paix, battre monnaie, ..).&nbsp;</p>
</div>
<div>Ce livre souligne que l’histoire de la constitution des Nations n’a pas toujours été un processus démocratique (luttes contre des minorités ethniques). Il nous propose une conception non figée de la Nation et ceci pour éviter de s’enfermer dans différentes formes de nationalisme, qui visent à sanctifier un patrimoine spirituel et à sacraliser ses frontières. Pas plus qu’il n’existe de frontières naturelles, ou de langue pure, il n’existe de patrimoine qui mérite d’être sauvegardé du fait de sa seule existence : les traditions guerrières ou oppressives (pour les femmes ou les minorités) n’ont pas à être conservées. La ferveur jadis investie dans la religion fut pour une part translatée dans l’admiration de la nation. Reprenant les propos de Karl Popper, l’auteure de <em>Demos</em> nous avertit que les conception naturalistes et historicistes de la nation engendrent très souvent l’intolérance et la persécution, voire des tentatives d’épuration.</div>
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<div>Aujourd’hui force est de constater que la souveraineté de l’Etat Nation est une illusion : « A l’heure où les mécanismes qui entretiennent l’injustice fiscale, sociale et environnementale ignorent les frontières, le repli stato-national serait dévastateur. La déterritorialisation et la financiarisation de l’économie ont des conséquences politiques et juridiques d’envergure : cantonnée à l’Etat nation, la volonté générale est devenue un mythe sans effectivité politique ».&nbsp;</p>
</div>
<div>La souveraineté, en tant qu’un assemblage de droits, de compétences, et de pouvoirs, « n’est pas pour autant obsolète, elle doit être pluralisée »<strong>. </strong>Il y a des problèmes qui peuvent être résolus au niveau européen, national, régional, local. Et la répartition des compétences aux différents niveaux doit résulter d’un débat démocratique. Il faut concilier le principe démocratique et le principe de subsidiarité (traiter les problèmes au plus près des citoyens). Il y a des problèmes qui ne peuvent être traités qu’au niveau européens, d’où la nécessité de penser la souveraineté européenne.</div>
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<div>Les opposants à la reconnaissance d’une possible souveraineté européenne s’appuient sur l’argument qu’il n’y a pas de peuple européen et que l’avènement d’une telle idée est impossible à envisager : <em>no démos</em> européen, donc pas de souveraineté du peuple, pas de démocratie (<em>demo-kratos</em>) possible au niveau européen. Pour dépasser cette argumentation, Céline Spector nous invite à ne pas prendre le modèle nationaliste du peuple, constitué par une tradition nationale intangible, une langue, une culture, une tradition historique et à penser l’idée de peuple comme « une identité variable, historique, non figée ». Il nous faut passer d’un modèle ethnique du peuple à un modèle civique dans lequel le peuple est conçu comme une association d’individus libres et égaux unis par des liens de solidarité et reposant sur un contrat social. Dans cette approche l’Europe est au départ l’association libre et volontaire d’un ensemble de <em>démos</em> qui composent cette entité d’un genre nouveau qu’est l’UE.</div>
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<div>Pour faire advenir un peuple européen il est nécessaire de promouvoir une culture politique européenne à partir d’une histoire critique sur les conflits, les guerres, les périodes coloniales, les périodes de réconciliation qu’ont vécus les différents <em>demos </em>européens mais aussi en promouvant des manifestations culturelles et artistiques. Il ne faut pas laisser la culture, la mémoire, l’histoire aux seuls souverainistes.</div>
<div></div>
<div>Céline Spector propose de construire la citoyenneté européenne autour du concept de solidarité (entre les individus et entre les peuples) et autour d’un contrat social. La solidarité doit être la finalité de l’Europe en faisant émerger des biens publiques européens ( transitions écologique et énergétique, politique industrielle, protection de l’emploi, défense,…). Le contrat social doit protéger les individus des effets pervers de la mondialisation mais aussi ceux de la construction européenne (concurrence salariale engendrée par la libre circulation des travailleurs et des capitaux par exemples).</div>
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<div>Ces réflexions de philosophie politique de Céline Spector nous permettent de sortir du dilemme dans lesquels les débats sur l’Europe essaient trop souvent de nous enfermer entre un libre-échangiste débridé de l’Europe ou la restauration de l’Etat-Nation. La construction d’une République fédéraliste européenne est possible et plus encore incontournable pour répondre aux défis écologiques, sociaux-économiques et culturelles des années à venir.</div>
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<div><em>1</em> « <em>No Demos ? Souveraineté et démocratie à l’épreuve de l’Europe</em> »,&nbsp; Editions du Seuil, 2021. Avant de se plonger dans le livre, il est conseillé de visionner la vidéo (43 minutes) de présentation de l&rsquo;ouvrage par son auteure : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GrRry7S6Wsg">https://www.youtube.com/watch?v=GrRry7S6Wsg</a></div>
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Souveraineté et démocratie à l’épreuve de l’Europe

<div>Le mystère de l’incarnation du divin n’est pas spécifique au christianisme, il est aussi très présent dans d’autres religions comme, par exemple, dans l’hindouisme.&nbsp; A la fin de mes cours de yoga, au moment de Noël, il m’arrive très souvent de proposer une vieille légende hindoue qui raconte à sa manière ce mystère de l’incarnation.&nbsp;</div>
<div>&nbsp;</div>
<div><em>Une vieille légende hindoue raconte qu’il y eut un temps où tous les hommes étaient des dieux. Mais ils abusèrent tellement de leur divinité que Brahma, décida de leur ôter le pouvoir divin et de la cacher en un endroit où il leur serait impossible de le retrouver. Le grand problème fut donc de lui trouver une cachette.</em></div>
<div><em>&nbsp;</em></div>
<div><em>Lorsque les dieux mineurs furent convoqués à un conseil pour résoudre ce problème, ils proposèrent ceci : « Enterrons la divinité de l’homme dans la terre ». Mais Brahma répondit : « Non, cela ne suffit pas, car l’homme creusera et la trouvera ».</em></div>
<div><em>&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;&nbsp;</em></div>
<div><em>Alors les dieux répliquèrent : « Dans ce cas, jetons la divinité dans le plus profond des océans ». Mais Brahma répondit à nouveau : « Non, car tôt ou tard, l’homme explorera les profondeurs de tous les océans, et il est certain qu’un jour, il trouvera et la remontera à la surface ».</em></div>
<div><em>&nbsp;</em></div>
<div><em>Alors les dieux mineurs conclurent : « Nous ne savons pas où la cacher car il ne semble pas exister sur terre ou dans la mer d’endroit où l’homme ne puisse l’atteindre un jour ».</em></div>
<div><em>&nbsp;</em></div>
<div><em>Alors Brahma dit : « Voici ce que nous ferons de la divinité de l’homme : nous la cacherons au plus profond de lui-même, car c’est le seul endroit où il ne pensera jamais à chercher ».</em></div>
<div><em>&nbsp;</em></div>
<div><em>Depuis ce temps conclut la légende, l’homme a fait le tour de la terre, il a exploré, escaladé, plongé et creusé, à la recherche de ce qui se trouve en lui …</em><a href="#_ftn1"><strong><em>[1]</em></strong></a></div>
<div><em>&nbsp;</em></div>
<div>&nbsp;</div>
<div>Et souvent je complète la lecture de cette légende hindoue par quelques pensées inspirées par d’autres religions et qui entre en résonance avec ce texte, comme&nbsp; :</div>
<div>&nbsp;</div>
<div>·&nbsp; &nbsp; &nbsp; Une pensée de Saint Augustin : <em>« Beauté, je t’ai cherché partout, je ne savais pas que tu étais à l’intérieur de moi, et je ne t’ai pas rencontré parce que je n’étais pas chez moi</em> ».</div>
<div>·&nbsp; &nbsp; &nbsp; Une pensée du poète et soufi turque Yunis Emre (1241-1320) : <em>« Quand tu cherches Dieu, cherche le dans ton cœur. Il n’est pas à Jérusalem, ni à la Mecque, ni dans le Hadj »</em></div>
<div>&nbsp;</div>
<div>
<p><a href="#_ftnref1">[1]</a> Source : Clara Truchot, <em>Hata Yoga, Science de santé physique et mentale</em>, Le Courrier du Livre, 1996</div>


L’incarnation du divin dans tout être humain Le point de vue de l’hindouisme

<div><strong>Individualisme et individuation</strong></div>
<div>Deux manières différentes d’être au monde<a href="#_ftn1">[1]</a></div>
<div>&nbsp;</div>
<div>Perrin Jacques</div>
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<div><strong>&nbsp;</strong></div>
<div><strong>L’individualisme</strong></div>
<div><strong>&nbsp;</strong></div>
<div>Une des difficultés pour comprendre ce qu’est l’individualisme, est que ce terme recouvre deux acceptions différentes. L’individualisme désigne à la fois une attitude, un comportement qui relèvent de la morale et un courant de la philosophie politique. Au sens moral, l’individualisme caractérise le comportement d’un individu qui manifeste une indépendance, « une tendance à ne penser qu’à soi ». Au sens politique, l’individualisme désigne « une doctrine selon laquelle l’individu précède la société »<a href="#_ftn2">[2]</a>. Force est de reconnaître que ces deux acceptations différentes de l’individualisme ne sont pas étanches. L’individualisme en tant que philosophie politique a prôné et à cultivé l’indépendance des individus et a en conséquence souvent contribué à développer le repli sur soi ; et les pourfendeurs de l’individualisme, en tant que pensée politique l’ont la plupart du temps dénoncé pour ses conséquences comportementales.</div>
<div>&nbsp;</div>
<div>&nbsp;Une autre difficulté pour comprendre ce qu’est l’individualisme est que le mot est relativement récent ; d’une manière assez étonnante, il n’a été créé qu’au début du XIXè siècle bien que l’individualisme comme comportement et comme philosophie politique existaient bien auparavant.&nbsp;</div>
<div>&nbsp;</div>
<div>Malgré les difficultés pour comprendre ce qu’est l’individualisme, il est très important pour nous occidentaux de connaître les convictions, les représentations mentales qui ont fondé et structuré l’individualisme en tant que philosophie politique. En effet, dans son ouvrage <em>Histoire de l’individualisme</em><a href="#_ftn3"><strong><em>[3]</em></strong></a>, livre de référence sur ce thème, Alain Laurent affirme que : <strong>« l’individualisme représente à la fois le propre de la civilisation occidentale et l’épicentre de la modernité ».</strong>&nbsp;</div>
<div><strong>&nbsp;</strong></div>
<div>Pour Alain Laurent, l’individualisme, comme pensée politique, repose avant tout sur une double conviction :</div>
<div>·&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;« L’humanité est composée, non pas d’abord d’ensembles sociaux (nations, classes, ..)&nbsp; mais d’individus : d’êtres vivants indivisibles et irréductibles les uns aux autres ».&nbsp;</div>
<div>·&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;Ce sont les propriétés internes et <strong>naturelles</strong> de l’individu, qui constituent « l’essentiel de la définition » (l’essence même) de l’individualisme. Et de préciser, l’individu a <strong>une aspiration naturelle à l’indépendance</strong>. « Cette aspiration à l’indépendance est vue par l’individualisme comme l’expression la plus achevée de la nature humaine ».</div>
<div>&nbsp;</div>
<div>Cette double conviction de l’individualisme est souvent explicitée par une image, une métaphore celle de l’atome. « L’individu, comme l’atome, est une unité (indivisible)<a href="#_ftn4">[4]</a>, déjà faite (ready-made) et isolée qui précède la société et ses interactions ». D’où souvent le qualificatif d’atomiste accolé au mot d’individualisme pour qualifier le principal courant de cette philosophie politique. Les convictions ou les croyances sur lesquelles reposent l’individualisme atomiste ont contribué à une définition bien précise de ce qu’est un individu : <strong>« L’individu est un être autonome dont la vocation est l’indépendance »&nbsp;</strong></div>
<div>&nbsp;</div>
<div><strong>Un individualisme démocratique et socialisant ?</strong></div>
<div>&nbsp;</div>
<div>A la fin du XIXè siècle un mouvement d’idée s’est formé pour repenser un individualisme démocratique et social et qui sera appelé l’âge d’or du libéralisme par Joël Roucloux, auteur d’ « une histoire des idées » du libéralisme<a href="#_ftn5">[5]</a>. En Angleterre, l’écrivain Oscar Wilde, dans <em>L’âme humaine et le socialisme</em> (1891), a fait l’apologie de la liberté individuelle, libérée de la propriété privée et en affirmant que « <em>l’individualisme est ce que nous voulons atteindre par le socialisme »</em>. En France, entre 1890 et 1910, l’usage positif du mot individualisme s’est répandu et une floraison de livres paraît soudain pour le célébrer comme l’éminente expression de l’humanisme démocratique issu des Lumières et des Droits de l’homme. Nombre de ceux qui l’avaient jusqu’alors boudé ou rejeté multiplient les prises de position publiques en sa faveur (en particulier de grandes figures du socialisme comme Jaurès, Durkheim) et lui découvre des vertus voisines de celles que lui reconnaissaient déjà les libéraux&nbsp;</div>
<div>&nbsp;</div>
<div>Pour l’historien des idées, J. Recloux, il existe donc deux formes différentes d’individualisme : « l’individualisme social » ou démocratique et « l’individualisme atomiste », appelé aussi&nbsp; individualisme économique en référence à l’homo économicus. Ces deux formes d’individualisme se retrouveront dans les débats qui ont opposé le philosophe américain John Dewey et Walter Lippmann, lors de la création du néolibéralisme durant la première moitié du XXè siècle.&nbsp;</div>
<div><strong>&nbsp;</strong></div>
<div><strong>L’individuation</strong></div>
<div><strong>&nbsp;</strong></div>
<div>La crise économique des années 1930 a suscité un mouvement critique du libéralisme et un nouveau courant de pensée, le néolibéralisme s’est imposé après la deuxième guerre mondiale, à la fois dans le champ économique et politique. La naissance du néolibéralisme a été marquée par un fameux colloque qui s’est tenu à Paris en août 1938 autour de l’œuvre de Walter Lippmann (1889-1974), diplomate, journaliste et essayiste américain. La pensée de Lippmann et des néolibéraux a été fortement critiquée par à un des plus grands penseurs américains du XXe siècle, le philosophe pragmatiste John Dewey (1859-1952). Lippmann et Dewey<a href="#_ftn6">[6]</a> ont eu tous deux l’ambition de reconstruire le libéralisme sur des bases nouvelles, d’inventer un nouveau libéralisme et chacun l’a fait à partir d’une représentation mentale de l’individu différente. L’individu lippmannien est compris, comme dans le libéralisme classique, à partir d’une vision atomiste ; on retrouve ici le modèle de l’homo économicus de l’individualisme économique. Pour penser un nouveau libéralisme Dewey découvre à partir de la biologie une autre représentation mentale de l’individu : l’individu, comme tout organisme vivant, est tout au long de son existence, le produit des relations passives et actives qu’il entretient avec un environnement (humain et naturel) et ceci au sein de différentes formes d’associations. Rejetant l’individualisme atomiste, le nouveau libéralisme de Dewey est pensé à partir d’un « individualisme relationnel ».</div>
<div>&nbsp;</div>
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<div>C’est au philosophe Gilbert Simondon (1924-1989) que l’on doit la contribution la plus importante à la notion d’individuation<a href="#_ftn7">[7]</a>. Selon Simondon « pour comprendre l’individu, il faut en décrire la genèse au lieu de la présupposer » et il appelle cette genèse l’individuation de l’individu. L’individuation n’est jamais un produit fini ; les êtres s’adaptent et changent en fonction du milieu. L’individuation est un processus permanent et l’individu est un être en perpétuel devenir. L’individuation de l’individu ne donne pas seulement naissance à un individu, mais aussi à son milieu associé. On doit donc considérer la totalité indivisible comme étant celle de l’individu et du milieu, et non celle de l’individu seul. En plaçant comme proposition centrale de sa pensée que <em>« l’être est relation »</em> ou encore que « <em>toute réalité est relationnelle » </em>Simondon a<em> </em>produit dans l’histoire de la philosophie quelque chose de proche d’un ébranlement dont on n&rsquo;a pas encore compris toutes les implications.</div>
<div><strong>&nbsp;</strong></div>
<div>Depuis l’époque de Dewey, les connaissances et notre compréhension de l’évolution du monde vivant ont progressé et confirment la démarche du philosophe pragmatiste ; on a découvert que l’évolution est à la fois le résultat de relations de compétition et de coopération et que ces dernières jouent un rôle de plus en plus important en fonction de la complexité croissante des organismes vivants. Si nous voulons continuer à approfondir la démarche naturaliste de Dewey pour repenser le libéralisme et l’individualisme, il nous faut intégrer les nouvelles connaissances du monde vivant qui sont actuellement disponibles et notamment les processus de symbiose<a href="#_ftn8">[8]</a>. Si nous voulons changer le monde, il nous faut savoir que la conception de l’individu prônée par le libéralisme et le néolibéralisme ne correspond pas aux découvertes récentes de la biologie et des sciences humaines. L’individualisme atomiste est de plus en plus une idéologie n’ayant aucun support objectif, contrairement à l’individualisme relationnel.</div>
<div>&nbsp;</div>
<div>Pour comprendre ce qu’est l’être humain en tant qu’organisme vivant en symbiose avec différents milieux, nous avons besoin d’ « une anthropologie générale à l’âge de la science écologique », pour reprendre le titre de l’ouvrage de F. Flahaut<a href="#_ftn9">[9]</a> Pour ce philosophe et anthropologue « Notre je est le fruit d’une symbiose complexe entre biologie, société et culture ».</div>
<div>&nbsp;</div>
<div><strong>&nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp; &nbsp;Tableau comparatif de deux manières d’être au monde différentes&nbsp;</strong></div>
<div></div>
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<figure data-trix-attachment="{&quot;contentType&quot;:&quot;image&quot;,&quot;height&quot;:950,&quot;url&quot;:&quot;https://changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2022/05/6058ebfa6742c21a0769cfe9.png&quot;,&quot;width&quot;:792}" data-trix-content-type="image" class="attachment attachment--preview"><img data-recalc-dims="1" loading="lazy" decoding="async" src="https://i0.wp.com/changement-de-cap.fr/wp-content/uploads/2022/05/6058ebfa6742c21a0769cfe9.png?resize=792%2C950&#038;ssl=1" width="792" height="950"><figcaption class="attachment__caption"></figcaption></figure>
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<p><a href="#_ftnref1">[1]</a> Cet article présente quelques idées développées dans mon ouvrage : Jacques Perrin, <em>Peut-on changer notre vision du monde ? De l’individualisme néolibéral à l’individuation</em>, Editions Librinova, mars 2021<br /><a href="#_ftnref2">[2]</a> Individualisme, Grand dictionnaire de la philosophie, Larousse, CNRS Editions 2003, p.549<br /><a href="#_ftnref3">[3]</a> Alain Laurent, <em>Histoire de l’individualisme,</em> Presse Universitaire de France, 1993<br /><a href="#_ftnref4">[4]</a> Le mot individu vient du latin individuum, ce qui est indivisible<br /><a href="#_ftnref5">[5]</a> Joël Roucloux,<em> </em>Les cinq périodes de l’individualisme savant,<em> Revue du Mauss, 2006/1 (N°27)</em><br /><a href="#_ftnref6">[6]</a> Sur le débat Lippmann / Dewey, voir Barbara Stiegler, <em>Il faut s’adapter. Sur un nouvel impératif politique</em>, Gallimard, 2019.<br /><a href="#_ftnref7">[7]</a> Gilbert Simondon, <em>L’individuation à la lumière de la notion de forme et d’information</em>, Million, 2005.<br /><a href="#_ftnref8">[8]</a> Voir notamment Marc-André Selosse,<em> Jamais Seul, ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, </em>Actes Sud, 2017<br /><a href="#_ftnref9">[9]</a> François Flahault, « <em>L’homme, une espèce déboussolée ; Anthropologie générale à l’âge de l’écologie </em>», Fayard, 2018<br />&nbsp;</div>
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Individualisme et individuation

<div>&nbsp;<br />Le « prix de marché », veau d’or des économistes, ne reflète pas la valeur réelle d’un bien pour la collectivité, estime l’économiste Jacques Perrin.</p>
<p><strong>Tribune</strong>. Un litre de gazole et un litre de Coca-Cola ont aujourd’hui quasiment le même prix, mais ont-ils la même valeur économique ? Après le premier étonnement suscité par la question, et sachant que les conséquences économiques et humaines d’une pénurie de pétrole ne sont pas les mêmes que celles d’une pénurie de Coca-Cola, la plupart des personnes que l’on interroge ainsi répondent assez spontanément qu’un litre de gazole n’a pas la même valeur économique qu’un litre de Coca. En revanche, pour la pensée économique dominante, qui enseigne que la valeur économique des biens et des services est donnée par leur prix, le litre de gazole et le litre de Coca ont bien la même valeur économique.</p>
<p>Cette affirmation théorique repose sur plusieurs croyances. La première est de croire que la valeur économique d’un bien ou d’un service peut être identifiée à sa seule valeur d’échange (son prix), gommant ainsi les aspects d’utilité et de valeur d’usage. La révolte des « gilets jaunes » témoigne avec force qu’un litre de gazole n’a pas la même valeur économique pour chacun d’entre nous : par exemple, il a plus de valeur pour une personne payée au smic et qui n’a pas d’autres moyens de transport que sa voiture que pour une personne ayant le même revenu mais pouvant utiliser des transports en commun.</p>
<p>La deuxième croyance est de nous considérer tous comme des Homo economicus, c’est-à-dire comme des agents cherchant à satisfaire individuellement leurs besoins en ayant à leur disposition toutes les informations pour faire des choix rationnels.</p>
<p><strong>Un monde de plus en plus interdépendant<br />
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<p>Dans un monde de plus en plus interdépendant, on ne peut plus penser la valeur économique à l’échelle d’un individu et par rapport à un seul bien ou service pris isolément, surtout lorsqu’il s’agit d’un bien comme l’énergie. Comme le rappellent les économistes institutionnalistes, ce qui est décisif, ce n’est pas que l’individu ait des besoins, mais que des hommes, liés socialement, aient des besoins.</p>
<p>Il faut rappeler que le pétrole, ressource énergétique non renouvelable et productrice de gaz à effet de serre, a structuré depuis des décennies nos modes de production et d’organisation de la division du travail au niveau international, et qu’il a aussi structuré nos façons de consommer, de se loger, de se déplacer, et plus généralement d’organiser nos territoires. Depuis des décennies, le prix du pétrole sur le marché international n’a jamais traduit la place structurante et grandissante qu’il prenait dans les économies des pays développés, il n’a jamais permis de prendre en compte sa valeur économique sociétale.</p>
<p>Un certain nombre d’initiatives récentes montrent que la notion de valeur économique sociétale d’un produit – c’est-à-dire prenant en compte sa valeur d’usage et son coût non plus seulement pour des individus pris isolément mais pour la société – commence à émerger. Citons notamment les travaux du Centre d’analyse stratégique pour fixer une valeur tutélaire du carbone en France. Une valeur tutélaire est une valeur fixée par les pouvoirs publics, mais elle est surtout le fruit d’un compromis entre plusieurs acteurs, organisé à l’initiative de ces mêmes pouvoirs publics. La COP21 a reconnu la valeur sociale et environnementale du carbone ; même si aucun prix de référence n’a été retenu, cette valeur du carbone est différente d’un prix de marché.</p>
<p><strong>Remettre la notion de valeur au centre de nos travaux<br />
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<p>Soulignons que même s’il est possible de construire à un moment donné la valeur économique sociétale d’un produit, tel que le gazole, cette valeur ne sera pas pour autant une valeur objective : elle sera évaluée et ressentie différemment en fonction de l’importance relative de ce produit dans la consommation des personnes concernées et en fonction de leurs niveaux de revenus.</p>
<p>Comme le montre aussi le mouvement des « gilets jaunes », dans une société donnée, la valeur économique sociétale d’un produit sera d’autant mieux acceptée que les inégalités de pouvoir d’achat seront faibles et que les différentes « parties prenantes » de la société auront été associées à sa définition.</p>
<p>Il est de plus en plus difficile de soutenir qu’un litre de gazole et un litre de Coca-Cola ayant quasiment le même prix ont la même valeur économique. En rappelant que toute théorie est construite à partir d’une certaine conception de ce qu’est la valeur, il est urgent qu’en tant qu’économistes nous remettions la notion de valeur au centre de nos travaux de recherche. C’est sans doute une des meilleures contributions que nous pouvons apporter pour comprendre aujourd’hui le mouvement des « gilets jaunes », et pour assurer un avenir aux générations futures.</p>
<p>Article paru dans Le Monde du 12 janvier 2019, Rubriques idées</p></div>


Il faut rompre avec la théorie économique dominante

<div>On a souvent de fausses d&rsquo;idées sur la pratique du Yoga : pour certains c&rsquo;est être capable de rester zen dans la posture du lotus ou des jambes en tailleur, les yeux fermés, pour d&rsquo;autres c&rsquo;est rechercher la souplesse et tenir des postures (asanas) plus ou moins acrobatiques. « Etre en yoga » c&rsquo;est à la fois plus simple et bien plus complexe. C&rsquo;est d&rsquo;abord ressentir, « habiter son corps », à partir de la pratique de postures simples, et en adoptant peu à peu cette attitude dans la vie de tous les jours. C&rsquo;est apprendre à&nbsp; gérer nos émotions par la respiration.&nbsp; « Etre en yoga », nous permet d&rsquo;accéder à une autre vision de l&rsquo;homme et de sa place dans le monde que celle diffusée par la culture occidentale moderne. « Etre en yoga' » c&rsquo;est&nbsp; donc aussi une manière de vivre ensemble en société et de gérer nos rapports avec la nature, avec notre planète Terre. Enfin et surtout, « être en yoga » c&rsquo;est être dans un état de conscience qui nous permet de nous relier au souffle de vie, qui anime tout être vivant et toute chose, c&rsquo;est une démarche spirituelle.<br />
<br />Ce qui est commun à toutes les spiritualités c’est la reconnaissance que la vie ne se limite pas à la matérialité des choses et des êtres. Au sein de cette matérialité des choses et de la nature, et au sein de notre corporalité humaine, de notre psychisme humain, de nos émotions, il y a une énergie, une présence qui dépasse l’individualité de chaque chose et de chaque être. La spécificité de la démarche du Yoga est d’amener chaque individu à découvrir qu’au plus profond de lui-même se trouve le Soi, le purusha.<br />
<br />Si vous souhaitez approfondir ces quelques réflexions sur le Yoga, je vous invite à lire mon livre « Etre en yoga, c&rsquo;est être relié à son corps, à son intériorité, à la nature et aux autres »</p>
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Jacques Perrin