Quel nouveau cap pour la politique fiscale ?

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La fiscalité est un moyen tout à la fois d’orienter la production et la consommation, et de lutter contre les inégalités. La lutte contre les évasions fiscales doit être renforcée et constitue une ressource indispensable pour réduire les déficits publics en France et dans les pays développés. Dans les pays du Sud elle dégagera des ressources pour l’amélioration du bien-être. Les mesures fiscales et budgétaires des premiers mois de la présidence Macron vont à l’encontre d’une politique de lutte contre les inégalités.

Moyen d’orienter la production et la consommation.

C’est bien ce que fait N.Hulot, ministre de la transition énergétique et de la solidarité en 2017  lorsque par exemple il veut augmenter le malus des gros 4×4 les plus polluants. C’est le moyen préconisé par  Philippe Madinier (1) , ancien rapporteur général du Centre d’étude des revenus et des coûts (CERC) quand il plaide pour une discrimination positive en faveur des services.  C’est ainsi que la réparation des logements dispose d’un taux réduit de TVA, qui stimule l’emploi dans ce secteur. En accordant un taux de TVA plus faible à « l’ensemble des activités de réparation, on contribuerait efficacement à l’allongement, si souhaitable, de la durée de vie des biens ». Cela impliquerait une hausse compensatrice sur les biens. « Pourvu que cette divergence soit progressive et programmée, elle serait éminemment favorable à la fois au rétablissement du plein emploi et au freinage de la consommation d’énergie et de ressources naturelles don on reconnait de mieux en mieux la nécessité ».

Mais Philippe Madinier s’empresse d’ajouter « Cependant une activité de service particulière devrait être exemptée de ces faveurs fiscales : la publicité. Son développement démesuré n’est pas pour rien dans la frénésie de consommation…Elle pousse les consommateurs à remplacer prématurément les biens « durables » et « semi-durables ». Bref elle s’oppose à la sobriété qu’appellent impérieusement des menaces écologiques grandissantes. Il faudrait faire taire la publicité, en tous cas l’obliger à baisser le ton. Objectif ambitieux ? Utopique ? Peut-être. Il suppose d’affronter un lobby puissant, celui qui a mis sous sa dépendance la quasi-totalité des moyens d’information ».

Lutte contre les inégalités de revenus et de patrimoine.

En septembre 2017, l’observatoire des inégalités en France (WWW.inegalites.fr) constate :

« Depuis une vingtaine d’années, les inégalités de revenus augmentent. Les plus aisés s’enrichissent alors que le niveau de vie des plus pauvres stagne ». Comme l’écrit Jean Gadrey, il s’agit d’en finir avec des inégalités indécentes qui minent la société. Ce qui devrait amener à agir à la fois sur les minima  sociaux et à réduire les inégalités de revenus et de patrimoine.

« Plus personne ne devrait vivre avec les minima sociaux actuels, qui ont décroché de 25% par rapport au Smic horaire depuis 1990. Il faut réévaluer ces minima, ou les remplacer par un revenu de base nettement supérieur au montant actuel du revenu de solidarité active (RSA) par exemple 600 ou 700 euros mensuels pour une personne seule » (2).

Les écarts de rémunération entre salariés ont atteint à l’heure actuelle des proportions inadmissibles, avec des rémunérations parfois extravagantes.  Le salaire de Carlos Ghosn président de l’alliance Renault-Nissan sera en 2017 de 7 millions d’euros pour Renault et à peu près autant de Nissan. En attendant un changement de la réglementation, Alain Caillé et les convivialistes souhaitent « jouer sur le ressort moral, et encourager vivement grands patrons ou vedettes du sport ou du show-biz à renoncer d’eux-mêmes à des rémunérations extravagantes, comme certains le font déjà ». Ils souhaitent que les autorités religieuses, spirituelles, morales, humanistes et scientifiques mondiales s’accordent pour déclarer que toute personne qui prétend mériter cent fois par exemple le salaire ou revenu de base dans son pays « s’exclut des normes de la commune humanité…et mérite opprobre à ce titre ».

Thomas Piketty interviewé en janvier 2015, auquel on faisait remarquer qu’il fallait bien rémunérer les talents et la réussite, répondait : « Je n’ai pas de problème avec l’inégalité…tant qu’elle reste dans des limites raisonnables … J’ai effectué des recherches avec des données d’entreprises. Quand vous payez un dirigeant 10 millions d’euros par an au lieu d’un million ou de 500.000 euros, obtenez-vous davantage de performances, de créations d’emplois ? Je n’ai pas pu le prouver. Il faut rémunérer les dirigeants correctement, mais vous n’avez pas besoin de les payer 50, 100 ou 200 fois le salaire moyen ».

La loi sur l’économie sociale et solidaire de 2014 prévoit que des entreprises capitalistes peuvent demander un agrément Esus (Entreprise solidaire d’utilité sociale) pour bénéficier d’aides et de financement spécifique. Cet agrément ne leur sera donné que si l’une ou l’autre des deux conditions suivantes est satisfaite (voir décret du 25 juin 2014 article 2) :

– La somme moyenne versée, y compris les primes, aux cinq salariés ou dirigeants les mieux payés n’excède pas, sur une année et pour un temps complet, 7 fois la rémunération annuelle d’un salarié au smic ou au salaire minimum de branche si ce dernier est plus élevé ;

– La somme moyenne versée, y compris les primes, au salarié ou dirigeant le mieux payé n’excède pas, sur une année et pour un temps complet, 10 fois la rémunération annuelle d’un salarié au smic ou au salaire minimum de branche si ce dernier est plus élevé.

Mais les associations, fondations, coopératives et mutuelles ne sont pas concernées par cet agrément puisqu’elles sont de droit dans l’ESS, de par leur statut, Ce qui veut dire qu’il s’écoulera encore du temps avant que les mutuelles, les banques coopératives et les coopératives agricoles appliquent ce genre de règle…

En définitive, pour réduire les inégalités, une majoration du taux de l’impôt sur les revenus élevés est indispensable, tout en sachant que la progressivité de l’impôt sur les revenus est en partie illusoire compte tenu des nombreuses niches fiscales.

En ce qui concerne les inégalités de patrimoine, il est surtout question en 2017 dans les débats publics de  l’impôt sur la fortune (ISF), alors qu’il faut élargir le débat. En effet l’ISF ne rapporte que 5 milliards à l’Etat alors que la taxe foncière rapporte 25 milliards. Le patrimoine total peut être estimé à 10 000 milliards, net de dettes. La moitié de la population française la plus pauvre en possède 5% et les 10% les plus riches en possèdent 60%. Quant au 1% de la population la plus riche elle en possède 25%.  (T.Piketty Le Monde 12 et 13 juin 2016 ). Les 10.000 milliards de patrimoine se composent ainsi : 5.000 milliards revenant à l’immobilier … 4.500 sont des actifs financiers et 500 sont des actifs liés à l’activité professionnelle des indépendants.

L’impôt sur l’ISF (5 milliards) et les taxes foncières (25 milliards) représentent respectivement   0,05% et 0,25% du patrimoine total, aussi ces deux impôts ne peuvent avoir qu’un effet très faible sur la répartition des patrimoines.  Pour Philippe Madinier, c’est surtout l’impôt sur les successions qui peut avoir « un effet d’égalisation notable, tout en étant économiquement supportable…pourvu évidemment qu’il comporte des taux bien différents de ceux qui sont actuellement en vigueur en France ». A condition de prévoir un abattement à la base assez substantiel et à condition de ne pas imposer fortement les biens qui sont à usage personnel comme le logement ou qui sont à usage professionnel personnel comme une exploitation agricole ou une entreprise artisanale, les taux d’imposition pourraient croître « progressivement jusqu’à atteindre 100% sur la tranche la plus élevée ».  Michel Sapin ancien ministre des finances en déclarant « Ce n’est pas parce qu’on prend des « risques » qu’on devient riche mais d’abord et avant tout parce qu’on a hérité » (Libération 18 oct. 2017) justifie l’idée qu’il est juste de taxer les successions.

La preuve qu’un impôt fortement progressif est possible, c’est que les E.U. l’ont fait à une certaine époque. Voici ce que rappelait T.Piketty dans Le Monde du  10 06 2017 : « Afin de contrer la montée des inégalités et la concentration excessive des fortunes (alors perçue comme contraire à l’esprit démocratique américain)…les Etats-Unis mettent en place dans les années 1910 et 1920 un niveau de progressivité fiscale inconnu dans l’histoire. Ce grand mouvement de compression des inégalités implique à la fois l’impôt sur le revenu (le taux appliqué aux revenus les plus élevés fut en moyenne de 82 % entre 1930 et 1980) et sur les successions (avec des taux atteignant 70 % sur les transmissions de patrimoines les plus importants).

 Evasion fiscale.

Grâce à l’OCDE, des progrès dans la lutte contre l’évasion fiscale ont été faits au niveau mondial après la crise financière de 2008. Beaucoup reste à faire.

Pour la France, « Une lutte efficace contre l’évasion fiscale illégale dans les paradis fiscaux permettrait de récupérer… une partie des trente à cinquante milliards qu’elle représente » (2).  Pour les pays du Sud, On estime que l’évasion fiscale des entreprises multinationales représente un manque à gagner de 125 milliards d’euros (voir les études du CCFD-Terre solidaire sur les paradis fiscaux).

Le directeur du Monde Jerôme Fenoglio écrivait le 7 novembre 2017 à propos des révélations des Paradise Papers : “En France l’histoire récente a montré…que l’on pouvait supprimer un impôt sur la fortune en arguant du risque d’exode du capital, sans suffisamment s’attaquer aux paradis fiscaux qui nourrissent la tentation d’évasion. C’est à toutes ces formes de complaisance qu’il faudra renoncer si l’on veut mettre fin à ces pratiques qui conduisent nos démocraties à leur perte”.

Cadeau aux riches de monsieur Macron.

Guillaume Duval écrivait dans son éditorial d’Alternatives économiques d’octobre 2017, après quelques mois de la présidence d’E.Macron : « Du côté de la fiscalité, il a choisi de rendre en priorité 7 milliards d’euros aux plus riches en vidant l’ISF de sa substance et en baissant fortement l’impôt sur les revenus du capital. Rejoignant ainsi la théorie des adeptes de la théorie du ruissellement : si on laisse les riches devenir plus riches, ça finira bien par profiter aux pauvres…Une politique dont on a vu, en particulier aux Etats-Unis, qu’elle aggravait surtout les inégalités, minant la cohésion sociale et donc l’efficacité économique ».

Au cours de son interview à TFI  le 15 octobre 2017, E.Macron tout en affirmant qu’il ne partageait pas la théorie du ruissellement (3) a confirmé qu’il pensait que les riches allaient utiliser les milliards qu’ils allaient encaisser pour investir dans l’économie, ce qui serait favorable à la croissance, à l’emploi et en définitive à tous.  Il a même osé affirmer « La condition pour ne plus être dans l’ISF, c’est d’investir dans l’économie française », ce qui est faux dans la mesure où aucune condition n’a été mise pour bénéficier des milliards de cadeaux.

Un autre argument avancé pour justifier les nouveaux cadeaux aux riches est d’affirmer que l’ISF a fait fuir des Français riches à l’étranger.  Ce qui a fait dire à Michel Sapin, ministre des finances de François Hollande : « On connaît ce refrain. Certains contribuables partent, d’autres reviennent. Les derniers chiffres connus montrent un équilibre entre les deux mouvements ». (Libération du 18 oct. 2017).

Michel Sapin avec 120 députés et sénateurs a demandé de rendre publics l’impact des mesures fiscales et budgétaires sur les contribuables les plus aisés, notamment les 0,1% et les 1% des Français qui concentrent le patrimoine français le plus important, ou sur les 100 français les plus riches. Ce ne serait pas enfreindre le secret fiscal puisque cette demande ne concerne pas les données individuelles. Faute de réponse précise de la part du gouvernement,  Vincent Eblé, président de la commission des finances du Sénat (Parti socialiste) estime que le gain cumulé de l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30% sur les revenus du capital et de la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) “peut être estimé à environ 1,5 millions d’euros par an” pour les cent premiers contribuables.

 

  1. Philippe Madinier. Une économie de services sans servilité. Préface de Jean Gadrey. L’Harmattan 2013.
  2. Alain Caillé/Les convivialistes. Eléments d’une politique convivialiste. Ed. Le bord de l’eau 2016.
  3. Voir Gaël Giraud in La Croix du 1er août 2017 : « Le mythe du ruissellement économique » et Zygmunt Bauman. Les riches font-ils le bonheur de tous ? Ed.Armand Colin ; 2013, notamment pp 61 et ss. .