Le projet partenarial d’aménagement (PPA) en centre ville de Marseille, une opportunité pour coconstruire la ville avec ses habitants ?

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A la lecture en juin 2019 de l’ambition du PPA (projet partenarial d’aménagement) présenté par l’Etat et la Métropole, personne n’avait la moindre idée de sa mise en œuvre. Ce projet a été la réponse des pouvoirs publics suite aux effondrements des immeubles de la rue d’Aubagne et les nombreuses révélations sur le scandale des marchands de sommeil pourtant connus depuis bien longtemps. L’Etat, représenté à l’époque par le Ministre du logement Denormandie, a mis la pression nécessaire sur une administration en fin de règne.

Un contexte extrême qui a marqué une rupture dans les processus de décision.
Les situations extrêmes vécues par les milliers de délogés après le 5 novembre 2018 ont été un électrochoc, l’enjeu de résorber l’habitat indigne à Marseille est devenu alors une priorité. Le PPA est un des plus grands projets d’urbanisme à l’échelle d’un centre ville d’une métropole européenne. Ce sont plus de 1000 ha couvrant les 1er, 2ème et 3ème arrond et une partie des 4ème, 5ème et 6ème et un horizon de travaux et d’aménagement sur deux décennies.

Mais entre 2019 et 2021, rien n’a réellement bougé, les élections municipales et le règlement des urgences ont mobilisé toutes les parties prenantes. Durant cette période, le collectif d’association et d’habitants, appelé, l’inter-co (ou inter-asso) a porté le projet d’une Charte pour le relogement, co-écrit par les acteurs concernés, et portée par une mobilisation croisant activisme politique et institutionnel, pétition, et marche populaire. 

Cette dynamique a obligé les élus, dont la plus mobilisée, Arlette Fructus, adjointe au logement de l’ancienne municipalité Gaudin, à inscrire l’adoption de cette Charte au conseil municipal du 17 juin 2019. Son vote à l’unanimité des élus a été le premier symbole d’une capacité d’intervention d’acteurs organisés et d’habitants sur la production de décision publique.

La décision d’un maire est d’abord la décision d’un conseil municipal, qui est issue d’un processus décisionnel, longtemps obscur dans la boîte noire de l’ingénierie municipale mais aujourd’hui, en situation d’être exprimé, analysé et délibéré par le plus grand nombre. 

Il y a donc là un chemin d’une possible co-construction de politique publique comme outil producteur de droit, à l’échelle d’une municipalité et dans des formes de mobilisation croisant culture institutionnelle et activiste.

D’un projet partenarial d’aménagement à une fabrique commune de la ville ?
L’objet prioritaire du PPA est la résorption de l’habitat indigne mais le réel enjeu demeure la capacité de « fabriquer la ville sur la ville » selon les termes des urbanistes. Au-delà du logement, c’est bien l’habiter qui est au cœur de ce projet : conserver la nature populaire et multifonctionnelle du centre-ville. Ce projet ne peut alors partir que des usages, nombreux et divers (habitants, habitués, clients de nombreuses enseignes, touristes, …) mais aussi des besoins évidents en logements accessibles. 

Cette question est centrale car la transformation des quartiers s’inscrit dans un temps long et dans un contexte où la densité nécessite une intervention fine, îlot par îlot. Les process classiques de l’ANRU ne peuvent correspondre : il y a très peu de bailleurs sociaux, un habitat dégradé diffus, le plus souvent en copropriété avec une présence de marchands de sommeil mais aussi de propriétaires souvent âgés et ayant peu de moyens pour entretenir leurs biens. 

Ce sont autant d’obstacles qui peuvent devenir des opportunités : celles d’imaginer de faire autrement. Est-il possible que l’institution puisse dépasser les propres règles qu’elle a édictées ? 

Notre enjeu est de faire appel à un autre imaginaire institutionnel en y impliquant toutes les parties prenantes. Une fabrique commune de la ville nécessite aussi de partager une culture commune. Celle-ci se construit dans la capacité de s’exprimer clairement, sans faux semblants pour mieux analyser les polarités, et les contradictions légitimes. Elle peut être ce « tiers espace » défini par Hugues Bazin qui « favorise les processus de résilience. C’est une manière de s’en sortir face à l’adversité, d’absorber une perturbation et de retrouver ses fonctions dans un nouvel équilibre ». Un espace nécessaire aujourd’hui à expérimenter.

Une fabrique de la ville pour ménager ou aménager ?
Une culture commune, c’est partager des inspirations communes. Penser le « ménagement » plus que l’aménagement de la ville, c’est agir autant sur le bâti que sur les relations des futurs habitants et habitués, c’est imaginer la ville à partir de ses vides, de ses places et espaces publics, c’est laisser advenir des usages à partir d’une connaissance fine du quartier, de son histoire et de son patrimoine matériel et immatériel.

« Thierry Paquot nous invite à un ménagement des êtres, des choses et des lieux. Cultivant une disposition à la disponibilité, promouvant une attention intentionnée, pratiquant le cas par cas, le sur-mesure et le avec les habitants et le vivant, le ménagement ne se substitut pas à l’aménagement, il est d’une autre nature et appartient à une autre logique qui se fonde sur une éthique, celle de la Terre. »

Questionner nos cultures, c’est questionner la circulation de nos savoirs et enfin, questionner le pouvoir.
Le pouvoir reste le savoir, et le savoir technique et institutionnel domine encore puissamment les processus de décisions dans le champ urbain. Mais il existe aussi un autre pouvoir, sans doute plus puissant mais moins visible : les promoteurs et investisseurs privés qui commandent les productions urbaines aux architectes et urbanistes, et influencent les élus et leurs collaborateurs. 

La ville est d’abord une production privée et les enjeux de ces maîtres d’ouvrage sont rarement questionnés dans leur nature profonde, à savoir une rentabilité financière rapide et si possible à deux chiffres avec des conséquences connues sur le choix des matériaux, la diminution des superficies habitables et l’usage de sous-traitants sous pression des prix. Derrière les mots et les concepts, une communication et une sémantique choisies, nous les oublions presque. Pourtant, ce n’est pas uniquement la règle qui produit l’urbanisme, ce sont aussi les moyens financiers des maîtres d’ouvrage, et le système bancaire qui les soutiennent. 

Il y a donc nécessité de laisser exprimer les polarités de celles et ceux qui fabriquent la ville en n’oubliant personne et de mobiliser chacun dans sa capacité de mettre carte sur table : de l’habitant ou de l’habitué du quartier, aux institutions, élus et techniciens, en passant par les multiples métiers de celles et ceux qui fabriquent et bâtissent, animent les liens une fois les espaces publics et bâtiments livrés et au bout de cette chaîne, les pouvoirs publics en devoir de réparer des années après les conséquences d’un modèle qu’il faut aujourd’hui réinventer.

La ville est une démocratie, et sa fabrique est une occasion, continuellement de repenser son processus. Comment imaginer alors concrètement une place de la maîtrise d’usage, au côté de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage ?

Le CoMU, la première pierre d’une nouvelle fabrique de la ville ?
Le vote de la Charte pour le relogement et son suivi depuis 2019 a renforcé la légitimité de l’inter-co. Après l’installation de la nouvelle majorité en juillet 2020, il a proposé de créer un espace de co-construction au sein du PPA. Conscients du contexte très particulier, d’une émotion toujours présente et de la responsabilité devant les victimes, décédées avant et durant le 5 novembre, et des milliers de délogés depuis, comme de l’existence à Marseille de ces dynamiques d’organisation collective, les élus et techniciens ont répondu favorablement en juillet 2021, à la proposition de créer cet espace, appelé aujourd’hui Collège des maîtrises d’usages (CoMU).

Maintenant tout est à coconstruire et, en premier lieu, consolider les 3 collèges (inter-co, asso et habitants) du CoMU à partir de ses propres ressources, expériences et savoirs techniques. Le premier défi est de mettre en place une organisation qui puisse s’adapter aux réalités d’habitants et d’acteurs associatifs, en s’inscrivant dans la durée. 

Le prochain article entrera dans la boîte noire de cette co-construction originale qui a vu son officialisation (et non son institutionnalisation) en juin 2022. 

Pierre-Alain CARDONA
Atelier populaire d’urbanisme organisé le 4 juin 2022 par le CoMU, collège des maîttrises d’usages du PPA.