L’autoréhabilitation accompagnée du logement

EcologieLogement
Coopérer pour relever le défi de la rénovation énergétique du logement. 
Par Daniel Cérézuelle et Guy Roustang

Les inventions démocratiques peuvent concerner des actes du quotidien apparemment minuscules et donc négligées, alors qu’elles sont d’une grande importance, comme nous allons le montrer. On voit se multiplier des chantiers d’autoréhabilitation accompagnée du logement (ARA), dans lesquels ce sont les maîtres d’ouvrage qui avec l’aide des professionnels réalisent une partie -parfois très importante – des travaux. L’ARA favorise la coopération avec des voisins, des parents, des professionnels. Déjà des territoires ont compris que la mobilisation de l’apport en industrie des ménages dans le cadre de chantiers hybrides sera la clé de la rénovation énergétique et de la remise en état d’une partie du parc de logements.

  
La réhabilitation énergétique des logements : Un enjeu de justice sociale et de solidarité planétaire. On sait que la production de gaz à effet de serre (GES) et de CO2 en particulier est une des principales causes du réchauffement climatique.  Pour en limiter les conséquences la diminution de notre consommation en énergie est essentielle. Il faut donc agir sur les secteurs les plus gourmands en énergie et notamment le bâtiment. En Europe, le bâtiment représente 40% de la consommation totale et 36% des émissions de GES. Nous vivons, pour la majorité d’entre nous, dans des passoires à calories et un ménage sur 5 est désormais en situation de précarité énergétique. En outre, l’insalubrité liée à l’absence de chauffage entraîne également une dégradation de la santé des occupants des logements concernés et le délabrement du bâti lui-même. 
 La rénovation énergétique du logement constitue non seulement un des principaux axes d’action pour la maîtrise collective du changement climatique, c’est aussi un enjeu majeur de justice sociale. C’est aussi un enjeu de solidarité planétaire puisque ce sont les habitants du sud qui pâtiront le plus des conséquences des émissions de GES. Il est donc très important que tous ceux qui occupent un logement-passoire puissent s’engager dans la rénovation énergétique de leur logement. 
 
L’obstacle du passage à l’acte de la rénovation. La conjonction du marché et des aides publiques ne permettra pas d’atteindre les objectifs du Plan de Rénovation Energétique de l’Habitat (PREH). Les mesures prises pour réhabiliter les logements se heurtent à une difficulté majeure : le passage à l’acte des maîtres d’ouvrage privés. Qu’ils soient propriétaires bailleurs ou propriétaires occupants, ils rechignent à lancer les travaux nécessaires, malgré les conseils et les aides financières dont ils peuvent disposer. Les objectifs fixés (500 000 logements à rénover par an) sont très loin d’être atteints et le marché relatif à la réhabilitation reste, pour l’essentiel, à l’état de potentiel. Les raisons peuvent être diverses : coût trop élevé des travaux, manque de solvabilité, retour sur investissement trop long, absence de garantie sur l’efficacité attendue des travaux, manque de confiance à l’égard des entreprises du bâtiment. Ces réticences tiennent aussi au fait que les solutions proposées consistent d’abord à “faire pour” plutôt que “faire avec” les personnes concernées en les reléguant au seul rôle de signer les devis des dépenses à engager et de régler les factures. Le rapport Berrier, du CGEDD sur la “Contribution de l’auto-réhabilitation accompagnée au plan de rénovation énergétique de l’habitat” (2014), constate l’impossibilité du secteur marchand à pourvoir seul aux besoins.  Il conclut : « Un changement d’échelle s’impose donc, qui rend nécessaire et pertinent de solliciter davantage l’apport en industrie des ménages et l’entraide pour rénover leur logement.» (p.23). Le rapport Chirat et Denisart, Nouvelles dynamiques de rénovation de logements. publié par le Plan Bâtiment Durable (2016), recommande lui aussi  d’encadrer et d’accompagner l’autorénovation », pratique qui a déjà une importance considérable (p.48, 50,54).
 
Ne plus considérer les gens comme des charges mais comme des ressources.  L’expérience montre qu’en associant davantage les maîtres d’ouvrage au montage de ce qui doit être et rester leur projet et en les accompagnant tout au long de sa mise en œuvre (et souvent jusqu’au pied du mur) il est possible de lever un des freins majeurs au développement de la réhabilitation énergétique du logement et de faire ainsi de l’ARA un levier essentiel pour créer de l’activité et de l’emploi et pour construire une autre politique énergétique. Dès maintenant bien sûr certaines personnes compétentes aidées par des voisins ou des membres de leur famille réhabilitent leur logement elles-mêmes. Mais d’autres n’ont pas les connaissances voulues ou n’ont pas confiance en elles. En les accompagnant, on ne les considère plus comme des charges qu’il faut subventionner, mais comme des ressources qui peuvent contribuer à la vie économique de leur territoire. Une expérience originale (voir http eccap.fr. Obtenir un diplôme en rénovant son logement) constate que des habitants d’un même quartier qui ne se parlaient pas, qui étaient dans une situation de précarité importante déclaraient ensuite : « Cela m’a permis de rencontrer d’autres personnes » ou « c’est tellement appréciable de se dire que l’on en est capable ». 
 
Une pratique qui se diffuse : Plusieurs études récentes attestent de l’importance des pratiques d’autoréhabilitation. Le rapport Open ADEME 2015 et le rapport TREMI ADEME 2017 qui portent sur les travaux d’amélioration énergétique réalisés signalent que d’ores et déjà 39% des travaux sont réalisés en autoréhabilitation autonome ou en « chantiers hybrides ». Les professionnels déjà engagés dans ces pratiques d’accompagnement se sont fédérés en 2015 au sein de la FEDAC (Fédération des Accompagnateurs) qui regroupe des artisans, des maîtres d’œuvre, et des architectes. Leur objectif est de consolider les compétences de ceux qui pratiquent ce métier d’accompagnateur à l’auto réhabilitation du logement, afin de garantir la qualité des travaux, la pérennité du bâti, la sécurité des personnes ; il s’agit aussi de mieux sécuriser les chantiers au plan assurantiel ; enfin ils cherchent à favoriser la reconnaissance et l’intégration de l’ARA dans les politiques publiques de l’habitat. Des groupes de travail ont été organisés avec des assureurs et des juristes pour préciser les responsabilités et les enjeux juridiques de l’accompagnement. 
 
Des formations se mettent en place : L’université du Littoral Côte d’Opale (ULCO) a créé un Diplôme Universitaire « Autoréhabilitation Accompagnée ». Cette formation de 72 heures aborde les thèmes suivants :
« Connaître et comprendre ce qu’est l’ARA ; appréhender les modèles économiques de l’ARA ; accompagner les habitants : analyse, médiation et conseil ; dialoguer avec les habitants autour des questions d’isolation, d’étanchéité à l’air ; monter un projet de rénovation (de l’analyse au choix de matériaux à l’estimation économique du projet) ; gérer la relation avec le maître d’ouvrage dans le « faire avec » : gestion des conflits et postures professionnelles ». La formation s’adresse à toute personne connaissant l’activité du bâtiment et de la construction : chef d’équipe, chef de chantier, artisan, diagnostiqueur ou conseiller en rénovation, assistant à maîtrise d’ouvrage, maîtres d’œuvre, demandeurs d’emploi avec des qualifications dans le bâtiment. Vers novembre 2019 c’est une quatrième promotion qui suivra cette formation ; et lorsqu’il fut question de la décentraliser en partenariat avec l’Université d’Avignon, ce fut une cinquantaine de candidats qui se firent rapidement connaître.
 
Des territoires s’engagent : Cela fait cinq ans que Lille métropole soutient un programme d’ARA.  C’est aussi un des objectifs du programme européen Interreg FAIRE qui associe la région Hauts de France et la Wallonie. Des parcs naturels régionaux tels que Cap et Marais d’Opale, ou celui de Millevaches promeuvent l’ARA. Certes, que des politiques publiques de l’habitat reconnaissent et soutiennent l’implication des maîtres d’ouvrages dans la conception et la réalisation des travaux du bâtiment, c’est une petite révolution culturelle et il convient de s’y engager avec prudence et rigueur. Sur la légitimité de l’autoproduction en matière de production du logement, nous n’en sommes pas encore au stade du gouvernement des Pays-Bas qui a décidé en 2010 qu’un tiers des habitations néerlandaises devait être auto-construit d’ici à 2040. . Toutefois il convient de rappeler qu’en 2009 le Conseil d’Etat dans son rapport Droit au logement, droit du logement recommande de « Promouvoir l’autoconstruction et l’autoréhabilitation des logements par les habitants ». La légitimité de l’ARA ne se pose plus ; reste la volonté politique de faciliter sa diffusion.
 
De la nécessité d’un soutien public. Pour le moment l’autoréhabilitation du logement n’est mise en œuvre que par des maîtres d’ouvrage particulièrement dynamiques. Un accompagnement professionnel bien préparé est indispensable pour favoriser le passage à l’acte d’un public beaucoup plus large qui peut mobiliser son temps et sa force de travail mais qui manque de confiance en soi, de compétences techniques ou de réseau relationnel. Il est nécessaire que cet accompagnement soit financièrement pris en charge par la puissance publique. Plus généralement, pour faciliter la diffusion de l’ARA dans de bonnes conditions, le Rapport Berrier faisait 14 recommandations. Nous n’en évoquerons ici que quelques-unes :
–          Donner un régime juridique, social et fiscal à l’autoproduction et à l’entraide dans le secteur de la construction.
–          Etudier avec les Ministères de l’Education Nationale et du Travail, et les organisations professionnelles, la création d’une filière de l’accompagnement à l’autoréhabilitation.
–          Ouvrir des discussions entre les assureurs et les parties prenantes pour une juste appréciation du risque à assurer.
–          Rendre éligibles aux aides de l’Etat les travaux de rénovation énergétique réalisés en autoréhabilitation et répondant à des critères d’éco-conditionnalité.